La journée du 27 novembre 2023 a tourné au « Black Monday » pour le chanteur de RnB et producteur sénégalo-américain Alioune Badara Thiam, alias Akon, promoteur de deux villes pharaoniques censées voir le jour au Sénégal et en Ouganda sous la même appellation – Akon City –, mais dont aucun témoin oculaire n’a jamais aperçu les fondations.
Acte de décès
Sans concertation aucune, deux médias africains sont en effet venus rappeler à l’artiste quinquagénaire, né aux États-Unis et ayant passé son enfance au Sénégal avant de s’installer pour de bon outre-Atlantique, ses engagements passés, un peu comme on planterait le dernier clou d’un cercueil.
Au Sénégal, le quotidien Libération, coutumier des révélations sur les affaires politiques, financières ou judiciaires, a ainsi indiqué que l’acte de décès d’Akon City aurait été scellé mi-novembre, lors d’une réunion de la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal (Sapco).
Au Sénégal, Akon City, un chantier pharaonique dans les limbes
Rattachée au ministère du Tourisme, celle-ci exerce depuis l’origine la tutelle sur l’ambitieux projet Akon City, lequel était présenté comme de nature à créer de nombreux emplois dans la modeste commune de Mbodiène, sur la Petite-Côte, cette zone balnéaire située à quelque deux heures de route au sud de Dakar. Prévue pour attirer des résidents venus d’un peu partout, de la classe aisée sénégalaise à la diaspora africaine, Akon City se voulait un Wakanda « in real life » dédié à la jeunesse et à la technologie.
Sœur jumelle ougandaise
Le même jour, la chaîne ougandaise NBS a consacré l’édition de son magazine d’enquête Special Report au volet local d’Akon City. À plus de 7 000 km de là, sur la rive septentrionale du lac Victoria, rien non plus ne semble s’être concrétisé depuis l’annonce de ce qui se présentait alors comme la sœur jumelle de la ville prévue au Sénégal. Après avoir officialisé, à la fin de l’année 2020, leur accord de principe avec la star, les autorités ougandaises avaient en effet conclu avec elle, en janvier 2022, la concession d’un terrain de 260 hectares dans le district de Mukono.
Akon et ses associés – demeurés mystérieux depuis le début – s’étaient engagés à faire surgir dans ce coin de verdure, au cours de la décennie suivante, une ville futuriste calquée sur le projet sénégalais. Mais sur les rivages du lac Victoria comme aux abords de la lagune de Mbodiène, seuls des herbes folles et des buissons ont poussé depuis lors.
Ville « green » et « high-tech »
Lors de notre dernier passage sur le site de Mbodiène, en mars 2023, rien ne laissait entrevoir ne serait-ce que les fondations de la ville « green » et « high-tech », propulsée par l’énergie solaire et par une cryptomonnaie à son nom (l’Akoin, dont le cours s’est effondré depuis son introduction sur le marché), que le chanteur avait fait miroiter au président Macky Sall et à son gouvernement.
Près de trois ans après la pose symbolique de la première pierre, le 31 août 2020, alors que la construction de la cité promise aurait dû atteindre à cette date sa vitesse de croisière, rien de tel ne se profilait. Sur la vaste parcelle défrichée censée métamorphoser en quelques années ce coin de brousse de 55 hectares en une ville futuriste parsemée de buildings en verre semblant onduler sous le vent, d’une marina pour milliardaires, d’un hôpital à la pointe de la technologie, d’une centrale solaire de 120 mégawatts et de tant d’autres infrastructures ultramodernes, seuls quelques herbivores pouvaient être aperçus sur les lieux, paissant paisiblement autour des rares broussailles ayant survécu aux premiers travaux de terrassement.
Fin du partenariat ?
Après avoir adressé à l’intéressé une première mise en demeure, en novembre 2022, la Sapco serait donc aujourd’hui sur le point d’invoquer l’absence de véritable avancée des travaux pour résilier unilatéralement l’accord passé avec l’artiste et se réapproprier les terrains dont il avait obtenu la jouissance via une cession de droit au bail de cinquante ans.
Akon City face aux doutes : quand le rêve de « Wakanda » se dissipe
« Selon nos informations, la Sapco va [lui] faire parvenir dans les prochains jours une lettre mettant fin au partenariat pour non-respect total de la convention signée entre les parties », indique ainsi Libération, qui ajoute que « la décision a été actée lors d’une récente réunion de coordination ».
L’inertie constatée dans le cadre de ce projet aurait donc décidé le gouvernement à jeter l’éponge. Le transfert des deux parcelles initialement allouées à Akon à des promoteurs reconnus, susceptibles de faire pousser des réceptifs hôteliers en un temps record, leur paraissait plus judicieux à l’approche des Jeux olympiques de la jeunesse, prévus en 2026.
Maison d’hôtes
Pour faire bonne figure et tenter de gagner du temps, Akon aurait proposé de substituer une simple « maison d’hôtes » au projet mirifique qu’un cabinet d’architectes lui avait initialement permis de faire miroiter aux autorités sénégalaises au moyen d’un clip en 3D. Jusque-là, seule une modeste « maison des jeunes », rénovée aux frais de l’artiste dans la commune de Mbodiène, a vu le jour en décembre 2022. Quant au « Welcome Center » qui aurait dû entrer en fonction en septembre 2023, sorte d’office du tourisme destiné à renseigner le chaland qui voudrait investir à Akon City, aucun de nos interlocuteurs à Mbodiène n’est en mesure d’en confirmer l’achèvement. « On l’aperçoit depuis la route, mais il semble toujours en travaux », résume un habitant.
Face au fiasco prévisible de ce projet aux yeux plus gros que le ventre, dont le schéma de financement – estimé par Akon à 6 milliards de dollars – est toujours demeuré opaque, l’omerta semble régner autour d’Akon City-Sénégal. Sollicités par Jeune Afrique le 27 novembre 2023, ni le directeur général de la Sapco, Souleymane Ndiaye, ni le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, n’ont donné suite à nos demandes d’éclaircissements.
Le Français Dominique Delport, qui était devenu, selon ses propres termes, « un business partner et le conseiller exécutif d’Akon City » via sa société internationale de conseil stratégique et d’investissement, Arduina Partners, et qui s’était montré intarissable en février dernier, lors de notre enquête sur le volet sénégalais d’Akon City, a quant à lui quitté le navire avant que ce dernier ne percute l’iceberg. « J’ai fini ma mission pour Akon City le 30 juin 2023 », a-t-il indiqué à JA.
Au ralenti
Depuis leur ouverture en décembre 2022, les deux comptes X (anciennement Twitter) ouverts par Akon – l’un en français, l’autre en anglais – afin de tenir informé le public clairsemé des followers intéressés par l’avancement de sa ville (moins de 1 900 au total) tournent au ralenti. Le dernier message posté sur le sujet, entre deux tweets dédiés au football, remonte au 20 mai 2023 : « #AkonCity, c’est parti ! », promettait-il alors.
« Comme annoncé, après la fin des études géologiques et environnementales sur le site de Mbodiène, le chantier de construction de la ville dédiée à la jeunesse sénégalaise a commencé », poursuivait ce message agrémenté d’une courte vidéo censée démontrer que des engins de chantier avaient commencé à s’activer.
Et pourtant, aucun des résidents de Mbodiène interrogés par JA au cours des derniers jours ne semble en mesure de confirmer que le projet aurait pris son envol. Présenté par l’un de nos contacts comme le président du comité de suivi du projet, Marcel Lamine Sène n’a pas non plus donné suite à nos sollicitations.
Jeune Afrique
Acte de décès
Sans concertation aucune, deux médias africains sont en effet venus rappeler à l’artiste quinquagénaire, né aux États-Unis et ayant passé son enfance au Sénégal avant de s’installer pour de bon outre-Atlantique, ses engagements passés, un peu comme on planterait le dernier clou d’un cercueil.
Au Sénégal, le quotidien Libération, coutumier des révélations sur les affaires politiques, financières ou judiciaires, a ainsi indiqué que l’acte de décès d’Akon City aurait été scellé mi-novembre, lors d’une réunion de la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal (Sapco).
Au Sénégal, Akon City, un chantier pharaonique dans les limbes
Rattachée au ministère du Tourisme, celle-ci exerce depuis l’origine la tutelle sur l’ambitieux projet Akon City, lequel était présenté comme de nature à créer de nombreux emplois dans la modeste commune de Mbodiène, sur la Petite-Côte, cette zone balnéaire située à quelque deux heures de route au sud de Dakar. Prévue pour attirer des résidents venus d’un peu partout, de la classe aisée sénégalaise à la diaspora africaine, Akon City se voulait un Wakanda « in real life » dédié à la jeunesse et à la technologie.
Sœur jumelle ougandaise
Le même jour, la chaîne ougandaise NBS a consacré l’édition de son magazine d’enquête Special Report au volet local d’Akon City. À plus de 7 000 km de là, sur la rive septentrionale du lac Victoria, rien non plus ne semble s’être concrétisé depuis l’annonce de ce qui se présentait alors comme la sœur jumelle de la ville prévue au Sénégal. Après avoir officialisé, à la fin de l’année 2020, leur accord de principe avec la star, les autorités ougandaises avaient en effet conclu avec elle, en janvier 2022, la concession d’un terrain de 260 hectares dans le district de Mukono.
Akon et ses associés – demeurés mystérieux depuis le début – s’étaient engagés à faire surgir dans ce coin de verdure, au cours de la décennie suivante, une ville futuriste calquée sur le projet sénégalais. Mais sur les rivages du lac Victoria comme aux abords de la lagune de Mbodiène, seuls des herbes folles et des buissons ont poussé depuis lors.
Ville « green » et « high-tech »
Lors de notre dernier passage sur le site de Mbodiène, en mars 2023, rien ne laissait entrevoir ne serait-ce que les fondations de la ville « green » et « high-tech », propulsée par l’énergie solaire et par une cryptomonnaie à son nom (l’Akoin, dont le cours s’est effondré depuis son introduction sur le marché), que le chanteur avait fait miroiter au président Macky Sall et à son gouvernement.
Près de trois ans après la pose symbolique de la première pierre, le 31 août 2020, alors que la construction de la cité promise aurait dû atteindre à cette date sa vitesse de croisière, rien de tel ne se profilait. Sur la vaste parcelle défrichée censée métamorphoser en quelques années ce coin de brousse de 55 hectares en une ville futuriste parsemée de buildings en verre semblant onduler sous le vent, d’une marina pour milliardaires, d’un hôpital à la pointe de la technologie, d’une centrale solaire de 120 mégawatts et de tant d’autres infrastructures ultramodernes, seuls quelques herbivores pouvaient être aperçus sur les lieux, paissant paisiblement autour des rares broussailles ayant survécu aux premiers travaux de terrassement.
Fin du partenariat ?
Après avoir adressé à l’intéressé une première mise en demeure, en novembre 2022, la Sapco serait donc aujourd’hui sur le point d’invoquer l’absence de véritable avancée des travaux pour résilier unilatéralement l’accord passé avec l’artiste et se réapproprier les terrains dont il avait obtenu la jouissance via une cession de droit au bail de cinquante ans.
Akon City face aux doutes : quand le rêve de « Wakanda » se dissipe
« Selon nos informations, la Sapco va [lui] faire parvenir dans les prochains jours une lettre mettant fin au partenariat pour non-respect total de la convention signée entre les parties », indique ainsi Libération, qui ajoute que « la décision a été actée lors d’une récente réunion de coordination ».
L’inertie constatée dans le cadre de ce projet aurait donc décidé le gouvernement à jeter l’éponge. Le transfert des deux parcelles initialement allouées à Akon à des promoteurs reconnus, susceptibles de faire pousser des réceptifs hôteliers en un temps record, leur paraissait plus judicieux à l’approche des Jeux olympiques de la jeunesse, prévus en 2026.
Maison d’hôtes
Pour faire bonne figure et tenter de gagner du temps, Akon aurait proposé de substituer une simple « maison d’hôtes » au projet mirifique qu’un cabinet d’architectes lui avait initialement permis de faire miroiter aux autorités sénégalaises au moyen d’un clip en 3D. Jusque-là, seule une modeste « maison des jeunes », rénovée aux frais de l’artiste dans la commune de Mbodiène, a vu le jour en décembre 2022. Quant au « Welcome Center » qui aurait dû entrer en fonction en septembre 2023, sorte d’office du tourisme destiné à renseigner le chaland qui voudrait investir à Akon City, aucun de nos interlocuteurs à Mbodiène n’est en mesure d’en confirmer l’achèvement. « On l’aperçoit depuis la route, mais il semble toujours en travaux », résume un habitant.
Face au fiasco prévisible de ce projet aux yeux plus gros que le ventre, dont le schéma de financement – estimé par Akon à 6 milliards de dollars – est toujours demeuré opaque, l’omerta semble régner autour d’Akon City-Sénégal. Sollicités par Jeune Afrique le 27 novembre 2023, ni le directeur général de la Sapco, Souleymane Ndiaye, ni le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, n’ont donné suite à nos demandes d’éclaircissements.
Le Français Dominique Delport, qui était devenu, selon ses propres termes, « un business partner et le conseiller exécutif d’Akon City » via sa société internationale de conseil stratégique et d’investissement, Arduina Partners, et qui s’était montré intarissable en février dernier, lors de notre enquête sur le volet sénégalais d’Akon City, a quant à lui quitté le navire avant que ce dernier ne percute l’iceberg. « J’ai fini ma mission pour Akon City le 30 juin 2023 », a-t-il indiqué à JA.
Au ralenti
Depuis leur ouverture en décembre 2022, les deux comptes X (anciennement Twitter) ouverts par Akon – l’un en français, l’autre en anglais – afin de tenir informé le public clairsemé des followers intéressés par l’avancement de sa ville (moins de 1 900 au total) tournent au ralenti. Le dernier message posté sur le sujet, entre deux tweets dédiés au football, remonte au 20 mai 2023 : « #AkonCity, c’est parti ! », promettait-il alors.
« Comme annoncé, après la fin des études géologiques et environnementales sur le site de Mbodiène, le chantier de construction de la ville dédiée à la jeunesse sénégalaise a commencé », poursuivait ce message agrémenté d’une courte vidéo censée démontrer que des engins de chantier avaient commencé à s’activer.
Et pourtant, aucun des résidents de Mbodiène interrogés par JA au cours des derniers jours ne semble en mesure de confirmer que le projet aurait pris son envol. Présenté par l’un de nos contacts comme le président du comité de suivi du projet, Marcel Lamine Sène n’a pas non plus donné suite à nos sollicitations.
Jeune Afrique
