Il est des moments où le droit international a la faculté extraordinaire de faire tomber les masques. Les réactions aux mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) le 21 novembre contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, furent l’un d’eux. Les deux hommes sont aujourd’hui suspects de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis à Gaza, mais dans un communiqué diffusé mercredi, le ministère français des Affaires étrangères a estimé que si le Premier ministre israélien devait se présenter sur le sol français, et que la CPI lui demandait d’exécuter le mandat d’arrêt, et donc de l’arrêter, Paris prendrait en considération son immunité diplomatique.
« Faute morale », « capitulation honteuse », « lecture opportuniste » du droit international… La position française a suscité des réactions en cascade. Depuis l’émission des mandats d’arrêt le 21 novembre, on reprochait à Paris ses ambiguïtés. Six jours plus tard, le Quai d’Orsay levait donc les doutes, mais en suscitait d’autres : par son communiqué du 27 novembre, Paris a-t-il voulu donner des gages à Benyamin Netanyahu, en pleines négociations d’un cessez-le-feu pour le Liban ? Difficile de négocier avec un dirigeant auquel on promet de passer ensuite les menottes. Paris aurait donc dû offrir des garanties, selon plusieurs médias de la région.
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Justice internationale: dans les rouages de la lutte contre l'impunité
Chapelles juridiques
Dans sa démonstration, le Quai d’Orsay s’appuie sur « l’article 98 » du Statut de la Cour, un « cadeau » des Américains qui, lors de la négociation du traité établissant la CPI, en juillet 1998, avaient obtenu de haute lutte l’introduction de cet article. Washington n’a finalement jamais adhéré à la Cour. Cet article dit qu’un État ne peut pas agir « de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité ». En ratifiant le traité de la CPI, les États abandonnent leurs immunités diplomatiques, s’agissant des crimes de la compétence de la Cour : génocide, agression, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Or l’État d’Israël n’a pas ratifié le traité de la CPI et n’aurait donc renoncé à rien, assure le quai d’Orsay. Mais cette interprétation est contestée par une large partie des juristes internationaux, notamment parce que Paris oublie le précédent sud-africain.
C’était en juin 2015. Invité d’un sommet de l’Union africaine à Johannesburg, le président soudanais Omar el-Béchir avait dû quitter le pays en vitesse et en catimini, alors que des avocats demandaient son arrestation à un tribunal de Pretoria. Laisser filer le chef d’État inculpé de génocide et crimes contre l’humanité par la CPI ! L’Afrique du Sud avait dû s’en expliquer devant les juges de la CPI. Se basant sur la jurisprudence internationale (comme le cas du Malawi en 2011), ces derniers avaient tranché : les dirigeants ne peuvent invoquer leur immunité devant les tribunaux internationaux, qu’ils soient ou non partie à la CPI. Le mandat de la Cour « serait réduit à un concept théorique, si les États pouvaient refuser » d’arrêter un chef d’État, avaient ajouté les juges.
Un casse-tête diplomatico-juridique
Dès le mois de mars, les alliés occidentaux d’Israël n’ignoraient rien du casse-tête à venir. En visite à New York, le procureur Karim Khan avait informé Washington, Londres et Paris de son intention de requérir des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense de l’époque. Ce qu’il fera deux mois plus tard, le 20 mai. Début juin, le G7 inscrivait la CPI à son ordre du jour. Puis le 26 novembre, cinq jours après la délivrance des mandats, les pays du G7 prenaient une décision tout aussi ambigüe que celle de Paris. États-Unis, Japon, France, Allemagne, Royaume uni, Italie et le Canada promettaient de « respecter leurs obligations respectives… » Pour les États-Unis, la question ne pose aucune difficulté : ils n’ont pas ratifié le traité de la Cour et n’ont donc aucune obligation de coopérer avec elle. Mais pour les autres, les réponses sont variables.
Pour Yoav Gallant, l’équation est plus simple, car début novembre, il a perdu son portefeuille de ministre de la Défense. Mohammed Deif, ce responsable du Hamas lui aussi sous le coup d’un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, est quant à lui présumé mort, même si les juges n’en ont pas encore obtenu la preuve.
Interrogé à Londres, le secrétaire au Foreign Office, David Lammy, a indiqué, mercredi, qu’il continuerait de parler avec Benyamin Netanyahu. « Je ne vois pas de circonstances dans lesquelles je ne parlerais pas aux représentants élus du gouvernement israélien », a-t-il déclaré. En 2013, pourtant, l’ONU avait édicté des règles selon lesquels seuls les contacts « indispensables » avec les personnes sous mandats d’arrêt de la Cour sont autorisées. L’Union européenne a fait de même. Mais peu après l’annonce du procureur le 20 mai, Emmanuel Macron avait bien annoncé que si des mandats d’arrêt étaient délivrés, il continuerait « d’appeler, de voir, de travailler avec le Premier ministre Netanyahu aussi longtemps qu’il sera Premier ministre d’Israël », parce que « c’est indispensable », avait-il ajouté.
Israël fait appel de deux décisions
Les actions occidentales contre la procédure initiée par la CPI contre les responsables israéliens illustrent de façon flagrante le double standard dénoncé par le « Sud global ». Paris, Londres, Washington et Berlin avaient largement salué l’annonce d’un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine, le 20 mars 2023, et tout autant soutenu l’enquête ouverte peu après le début de l’invasion russe en février 2022. Le procureur avait obtenu un soutien politique clair, des moyens financiers et une pleine coopération. Rien de tout cela concernant Israël.
En attendant, devant la CPI, à La Haye, la procédure se poursuit. Mercredi, l’État hébreu a demandé aux juges de suspendre l’exécution des mandats d’arrêt, le temps d’une procédure d’appel. Les avocats d’Israël contestent deux décisions rendues par la Cour le 21 novembre, en marge des mandats d’arrêt. L’une porte sur la compétence de la juridiction et l’autre sur la recevabilité de l’affaire. La Cour doit donc désormais dire si elle permet ces demandes d’appels, et si elle suspend l’exécution des mandats d’arrêt.
« Faute morale », « capitulation honteuse », « lecture opportuniste » du droit international… La position française a suscité des réactions en cascade. Depuis l’émission des mandats d’arrêt le 21 novembre, on reprochait à Paris ses ambiguïtés. Six jours plus tard, le Quai d’Orsay levait donc les doutes, mais en suscitait d’autres : par son communiqué du 27 novembre, Paris a-t-il voulu donner des gages à Benyamin Netanyahu, en pleines négociations d’un cessez-le-feu pour le Liban ? Difficile de négocier avec un dirigeant auquel on promet de passer ensuite les menottes. Paris aurait donc dû offrir des garanties, selon plusieurs médias de la région.
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C’était en juin 2015. Invité d’un sommet de l’Union africaine à Johannesburg, le président soudanais Omar el-Béchir avait dû quitter le pays en vitesse et en catimini, alors que des avocats demandaient son arrestation à un tribunal de Pretoria. Laisser filer le chef d’État inculpé de génocide et crimes contre l’humanité par la CPI ! L’Afrique du Sud avait dû s’en expliquer devant les juges de la CPI. Se basant sur la jurisprudence internationale (comme le cas du Malawi en 2011), ces derniers avaient tranché : les dirigeants ne peuvent invoquer leur immunité devant les tribunaux internationaux, qu’ils soient ou non partie à la CPI. Le mandat de la Cour « serait réduit à un concept théorique, si les États pouvaient refuser » d’arrêter un chef d’État, avaient ajouté les juges.
Un casse-tête diplomatico-juridique
Dès le mois de mars, les alliés occidentaux d’Israël n’ignoraient rien du casse-tête à venir. En visite à New York, le procureur Karim Khan avait informé Washington, Londres et Paris de son intention de requérir des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense de l’époque. Ce qu’il fera deux mois plus tard, le 20 mai. Début juin, le G7 inscrivait la CPI à son ordre du jour. Puis le 26 novembre, cinq jours après la délivrance des mandats, les pays du G7 prenaient une décision tout aussi ambigüe que celle de Paris. États-Unis, Japon, France, Allemagne, Royaume uni, Italie et le Canada promettaient de « respecter leurs obligations respectives… » Pour les États-Unis, la question ne pose aucune difficulté : ils n’ont pas ratifié le traité de la Cour et n’ont donc aucune obligation de coopérer avec elle. Mais pour les autres, les réponses sont variables.
Pour Yoav Gallant, l’équation est plus simple, car début novembre, il a perdu son portefeuille de ministre de la Défense. Mohammed Deif, ce responsable du Hamas lui aussi sous le coup d’un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, est quant à lui présumé mort, même si les juges n’en ont pas encore obtenu la preuve.
Interrogé à Londres, le secrétaire au Foreign Office, David Lammy, a indiqué, mercredi, qu’il continuerait de parler avec Benyamin Netanyahu. « Je ne vois pas de circonstances dans lesquelles je ne parlerais pas aux représentants élus du gouvernement israélien », a-t-il déclaré. En 2013, pourtant, l’ONU avait édicté des règles selon lesquels seuls les contacts « indispensables » avec les personnes sous mandats d’arrêt de la Cour sont autorisées. L’Union européenne a fait de même. Mais peu après l’annonce du procureur le 20 mai, Emmanuel Macron avait bien annoncé que si des mandats d’arrêt étaient délivrés, il continuerait « d’appeler, de voir, de travailler avec le Premier ministre Netanyahu aussi longtemps qu’il sera Premier ministre d’Israël », parce que « c’est indispensable », avait-il ajouté.
Israël fait appel de deux décisions
Les actions occidentales contre la procédure initiée par la CPI contre les responsables israéliens illustrent de façon flagrante le double standard dénoncé par le « Sud global ». Paris, Londres, Washington et Berlin avaient largement salué l’annonce d’un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine, le 20 mars 2023, et tout autant soutenu l’enquête ouverte peu après le début de l’invasion russe en février 2022. Le procureur avait obtenu un soutien politique clair, des moyens financiers et une pleine coopération. Rien de tout cela concernant Israël.
En attendant, devant la CPI, à La Haye, la procédure se poursuit. Mercredi, l’État hébreu a demandé aux juges de suspendre l’exécution des mandats d’arrêt, le temps d’une procédure d’appel. Les avocats d’Israël contestent deux décisions rendues par la Cour le 21 novembre, en marge des mandats d’arrêt. L’une porte sur la compétence de la juridiction et l’autre sur la recevabilité de l’affaire. La Cour doit donc désormais dire si elle permet ces demandes d’appels, et si elle suspend l’exécution des mandats d’arrêt.