16h à Bignona, Dakar ! Nous sommes à Grand-Yoff, en face de la station de captage des eaux usées de Dakar. Des milliers de personnes se sont données rendez-vous pour prendre départ vers les différentes localités de la Casamance, en cette période de pandémie.
C’est la Tabaski ! Tout le monde veut la passer chez lui. Malgré les sorties du Ministre de la Santé, les en dis-suandant, personne ne veut rester à Dakar. Et pourtant le Ministre avait raison. D’ailleurs, le dire même serait un secret de polichinelle.
Moi Coronavirus, chassé de la gare des Baux maraîchers où on respecte les mesures barrières, je me suis frayé une place à la zone de captage, où prennent départ les horaires de la Casamance. Ici, je veux dire Bignona-Grand-Yoff, des milliers de personnes se côtoient sans mesures barrières. Elles attendent pour embarquer à bord des dizaines de bus à destination du sud du pays.
Cette gare routière de fortune grouille de monde. Elle est encombrée d’ordures, de gravats, d’eaux stagnantes, d’immondices. Sans parler des odeurs pestilentielles qui agressent les narines. Des deux côtés de la ruelle, les bagages des voyageurs sont entassés, les uns sur les autres.
Un environnement propice à la propagation
En face de cet abattoir des porcins, la distanciation n'existe pas, le lavage des mains non plus. Le port de masques, n’en parlons pas ! C’est la liberté totale au terminus clandestin de Grand-Yoff, fief de l’anarchie, de la promiscuité et de l’insalubrité avec son corolaire d’odeurs nauséabondes. Les odeurs fétides que dégage ce grand ravin, rendent la vie difficile dans cette zone. Ces odeurs affectent gorges et narines, non seulement, des voyageurs venus de divers horizons, mais également des habitants des cités qui entourent ce bassin de rétention des eaux usées. En sus, les essaims de moustiques font, à leur tour, la loi. Cet environnement m’arrange beaucoup, car il est propice à ma propagation, moi Coronavirus.
Au niveau des points d’enregistrement des clients sont écrits les noms des localités. On peut lire pêle-mêle, Kafountine, Abéné, Diouloulou, Djinaki, Baïla, Sindian, Thionk Essyl, Tendouck, Dianky, Kagnobon, Balingor, Eléna, Coubalang, Koubanao, Niamone, Oulampane, Nyassia, Kaguitt, M’lomp, Elinkine, Niaguiss, Goudomp, etc.
Ici, moi Coronavirus, je prendrai place dans tous les bus, à destination des différentes localités de la Casamance naturelle, sans contrôle, ni risque de mort, parce qu’il n’y a pas ce liquide qu’ils appellent antiseptique, pas de l’eau au savon ni de masque qui les protègent contre moi et mes semblables, en nous étouffant jusqu’à la mort.
Il est 21 heures, mais rien n’est encore prêt. C’est le 2ème bus de notre point de départ qui vient de quitter. Une fine pluie commence à s’abattre sur Dakar. Les voyageurs se bousculent pour prendre place au niveau des huttes à toits de zinc déjà pleines. Dans cette bousculade, certains y perdent leurs masques, d’autres leurs bouteilles d’antiseptiques à mon bonheur et celui de mes semblables.
Aussi, faut-il préciser que ce temps perdu par les voyageurs, nous a permis de nous multiplier et d’élire domicile sur tout ce qui se trouve à la gare de Bignona-Grand-Yoff.
Définir un plan d’occupation
Ainsi, moi Coronavirus, j’ai eu le temps de tenir des réunions avec l’ensemble des équipes de l’Opération Corona Tabaski pour définir notre stratégie de multiplication le long du trajet. Cette stratégie définit non seulement un plan d’occupation de l’environnement des voyageurs, mais également des points d’escales.
5h 48mn, le bus plein comme un œuf, prend congé de Bignona-Grand-Yoff. Dakar commence à se réveiller. L’autocar longe tout d’abord l’ancienne autoroute, au niveau de la Patte d’Oie, avant de prendre celle dite de l’Avenir qui rejoindra Ila Touba, à partir de Kirène.
Une fois dans l’autoroute à péage, le bus s’ébranle. De mon siège, défilent des milliers de moutons, la gare routière des Baux Maraîchers, la voie ferrée, la forêt classée de Mbao et ses jardins, des centaines de voitures au niveau des points de péage, la ville de Diamniadio et ses belles infrastructures, l’aéroport AIBD, des champs, des usines aux cheminées crachant de la fumée noire...
Prenant de la vitesse, le bus passe devant Mbour en moins d’une heure. Un silence de mort règne à l’intérieur du bus. Sous le poids de la fatigue, 90% des voyageurs dorment déjà.
A partir de mon siège, à côté du chauffeur, je vérifie si mes éléments ont respecté le plan d’occupation de l’environnement. Rien à signaler (RAS). A l’heure où certains de mes parents virus cherchent à entrer dans les narines ou les bouches des voyageurs, d’autres s’accrochent à leurs mains et aux poignets des portails du bus pour préparer les escales.
Le temps pour moi Coronavirus de me reposer, il est 09 heures. Nous sommes au check-point, à l’entrée de Kaolack. Le chauffeur marque un arrêt pour des formalités. A l’extérieur retentissent des voix. Un tintamarre infernal. Des marchands proposent des petits pains, des cacahouètes, des beignets, de l’eau, des œufs bouillis, etc. Conformément à notre plan, certains de mes semblables sont descendus, accrochés aux liasses d’argent des voyageurs. Inquiet pour eux, au départ du bus, je me précipite à la fenêtre pour voir s’ils ne sont pas en danger.
Escale à Kaolack….
Que s’est-t-il réellement passé ? Je constate que certains ont disparu avec le lavage des mains, car il y a juste à côté un arsenal pour lutter contre moi et mes semblables. Cependant, certains d’entre eux ont échappé en se cachant dans les pochettes des vendeurs. Ils pourront perpétuer la race de la princesse Corona. Et n’oublieront pas que nous sommes en mission pour notre princesse. De la Chine continentale, plus précisément, à Huwan, nous avons fini de coloniser le monde. Même la Corée du Nord qui a voulu nous apporter résistance, à travers sa discipline, a capitulé. Après cette parenthèse, je reviens à mon voyage.
Quelques minutes après, le bus s’immobilise devant une station d’hydrocarbures. « Vous avez 15 minutes », lance l’apprenti. La mosquée, la supérette, le restaurant et les toilettes sont les lieux d’accueil des voyageurs. Comme convenu, tout le monde a rejoint le bus avant la fin des 15 minutes. Je suis parti très satisfait de cette escale car mes éléments ont infesté les lieux. Avant même de quitter les lieux, j’ai vu un homme sortir de la superette après achat en compagnie de mes « petits-fils » et l’un d’entre eux s’apprêtait à entrer dans son nez.
Au revoir Kaolack, bonjour Koungheul après avoir dépassé Kahone, Mbirkilane et Kaffrine. Nous avons encore 15 mn pour faire des achats, se soulager, se décrasser les pieds ou accomplir la prière du Tisbar, à 14 heures, pour certains musulmans.
Ici l’animation est grande, les femmes étalent leurs marchandises par terre, dans des plats, sur des plateaux, etc. Entre autres, cacahuètes, bananes, maïs grillé ou bouilli, colas, bonbons, œufs, sucre en poudre, eau glacée dans des sachets ou des bouteilles, seaux remplis de patte d’arachide, tissus, petits pagnes, friperie…
Corona et le « forokh thiaya » de Koungueul
En face de ces femmes, des hommes avec des restaurants ambulants appelés « pousse-pousse » vendent du « forokh thiaya ». C’est de la viande bouillie à la mauritanienne, avec de l’eau, des oignons, du poivre et du sel. Apparemment, il y a beaucoup de férus du « forokh thiaya » dans notre bus.
Par ailleurs, mais toujours à Koungueul, certains ont profité de cette escale pour s’acheter un mouton de Tabaski à bon prix. Point de convergence de beaucoup de vendeurs, Koungueul a des moutons pour toutes les bourses.
15mn, 20mn, 25mn passées, le chauffeur commence à appuyer sur le klaxon. Tout le monde rejoint son siège après 30mn d’escale. Le bus plein de marchandises, reprend départ.
J’aperçois les missionnaires de la princesse Corona avec des visages effrayés, croyant qu’ils seront des victimes de cette eau au savon ou du liquide antiseptique. Heureusement, plus de peur que de mal. Avec l’esprit tranquille, je rejoins mon siège à côté du jeune chauffeur.
La traversée de cette capitale de l’un des départements de Kaffrine n’est pas longue. A la sortie de Koungueul, des deux côtés de la route, des carcasses de moutons décomposés, des sacs en plastiques, des ordures de tout genre sont abandonnés. Nous finissons par laisser derrière nous, charognards, vautours et corbeaux, survolant ces immondices et charognes sous un ciel noir et lourd de nuages annonçant, sans nul doute, une forte pluie.
Sur cette route, nous avons l’impression que les voies ferrées nous accompagnent. Les rails parallèles à la route sont parfois visibles, parfois cachés par une savane d’arbustes et de buissons. L’ambiance dans le bus est presque festive, car c’est le moment pour les voyageurs de déguster leurs « forokh thiaya ».
Certains essaient d’ouvrir un peu les fenêtres afin de balancer dans la nature les restes de leurs repas, les sachets plastiques, les bouteilles vides. Je réalise qu’il n’y a pas d’écologiste dans notre bus. D’autres nostalgiques racontent à la jeune génération, l’histoire de Koungueul naguère haut lieux de production de l’arachide.
Après une heure de route, nous pénétrons maintenant dans la région de Tambacounda, en nous faisant accueillir par Koumpentoum, cœur de l’ancien Royaume du Niani qui avait barré la route à Lat Dior. Permettez de conter un peu l’histoire du Sénégal à la jeune génération. Au cours de la bataille de Ñaani, qui se déroula à l’époque ou Lat Dior et Maba Diakhou Bâ combattaient pour convertir à l’Islam, les royaumes païens d’une région qui se trouve aujourd'hui entre le centre et le sud du Sénégal. Le roi de Ñaani refusa la demande d’alliance de Lat Dior et d’ouvrir les portes de sa ville et de se convertir.
Soudain, le ciel ouvrit ses vannes. Les averses commencèrent à s’abattre sur notre bus. Avec cette pluie, le bus ralentit, mais ne s’arrêta pas. C’est sous cette pluie que nous traversons Malem Niany, Sinthiou Malém et Koussanar.
Corona au guichet automatique bancaire de Tamba
Il est 17 heures. Nous arrivons à Tambacounda, ancienne capitale du Sénégal Oriental. Des vendeurs et des talibés foncent vers nous. Le responsable de cette escale donne le signal à ses sujets. Sans perdre de temps, ils accompagnent tous ceux qui descendent du bus. Trois parmi les voyageurs, se dirigent vers les guichets automatiques d’une célèbre banque. La peur commence à gagner mes éléments croyant qu’il y aurait, comme à Dakar, le liquide antiseptique à l’entrée du Guichet automatique bancaire (GAB).
Alhamdoulilahi ! Certes, il y a, à l’entrée un contenant pour leur désinfectant, mais il est vide. Rapidement, mes sujets ont envahi les poignets de la porte et les claviers du guichet automatique.
Top ! Nous quittons Tamba. Nous reprenons la route. Comme dit l’autre, « après la pluie, le beau temps ». Le temps s’est rafraîchi et nous facilite un peu ce long trajet.
Le pont de Gouloumbou sur le Fleuve Gambie franchi, nous sommes dans la région de Kolda. Des plantations de bananes font partie du décor des deux côtés de la route.
Nous progressons vers Kolda, dans le Fouladou, au cœur de la haute Casamance. Sous cette pluie, le soleil disparait du ciel, laissant place à une lune tantôt visible, tantôt cachée par des nuages. Sur les panneaux, nous pouvons lire Mandat Douanes, Vélingara, Kounkané, Diaobé… Nous voilà à l’entrée d’une grande ville.
La courte escale de Kolda
Bonsoir Kolda ! Si à chaque arrêt, les voyageurs se font des emplettes, ce n’est pas le cas pour l’étape de Kolda, car seuls ceux qui veulent se soulager peuvent descendre.
Il est 21h. Cap sur Madina Wandifa pour rallier Bignona. Après deux heures de route, nous sommes arrivés à ce coin de la Province de Moussa Molo Baldé. Cinq (05) clients en compagnies de mes sujets y descendent. En les regardant prendre congé de nous, j’avais les larmes aux yeux. Mais, ils m’ont rassuré, sourire aux lèvres.
Avant et après Carrefour Diaroumé, nous nous arrêterons encore dans d’autres localités telles que Bani, Sakar, Croisement Ndiaye, puis à Bounkiling, Diacounda, Croisement Kandialo, Oulampane, Badiouré, Mampalago. Le bus est maintenant à moitié vide. Et seules cinq personnes sont fidèles à leurs masques.
A 2 h du matin, nous arrivons à Bignona. Nous sommes à la station à l’intersection de la route Ziguinchor/Kataba1. Le bus s’immobilise. Malgré l’heure tardive, le lieu grouille de monde. Notre bus est assailli par des porteurs de bagages, des conducteurs de taxis et de motos Jakarta.
La nuit du Coronavirus à Bignona
Je sors du bus très fatigué, mais très content, car j’ai accompli la mission que m’a confié princesse Corona. En quoi consistait-elle ?
Naturellement, à contaminer le maximum d’humains dans le monde. J’ai quitté Huwan un fin janvier 2020 avec comme destination la base militaire qui a accueilli les Français rapatriés, avant de rallier Dakar, à partir de Roissy Charles De Gaulle.
Aujourd’hui, je suis à Bignona en Basse Casamance. Ce trajet m’a permis de contaminer plus de 70% des occupants du bus. Ces derniers vont à leur tour contaminer d’autres en ralliant respectivement les différentes localités du département de Bignona.
En attendant ma nouvelle destination que je ne communiquerai pas, je passerai ma nuit à Bignona. Je vous donne rendez-vous dans les semaines à venir, pour voir le travail que mes semblables et moi avons abattu pour ceinturer le Sénégal et l’infester à souhait. Désormais, vous nous entendrez dans le Sénégal des profondeurs.
Par Talibouya AIDARA
Journaliste
Email : aidara.or.t@gmail.com