Avec près de 2 000 habitants, Bambali n’est pas encore une station touristique mais affiche déjà le visage de Sadio Mané partout, sous-titré « La fierté de toute une nation ». L’attaquant de Liverpool et des Lions de la Teranga s’est illustré lundi soir avec un doublé qui a permis à son équipe d’accéder aux huitièmes de finale.
Piste en latérite bordée de manguiers, poules et moutons dans les cours, maisons aux toits de tôle ou de chaume. Bambali ressemble a priori aux autres villages sénégalais avec ses grappes d’enfants pieds nus dans la poussière. Pourtant, à y regarder de plus près, il y a aussi ce lycée flambant neuf, cette grande bâtisse à colonnes et moulures, et surtout tous ces maillots au numéro 10 écarlate de Liverpool… Bienvenue sur les terres de Sadio Mané.
Aujourd’hui, en pleine Coupe d’Afrique des nations, la star de l’équipe nationale est pressentie pour le Ballon d’or. Ce serait le deuxième Africain à l’obtenir après George Weah. « Tout ce qu’il sait aujourd’hui, il l’a appris ici, à Bambali », lance Ibrahim Touré, l’oncle de l’international sénégalais, en sirotant son thé devant l’imposant manoir offert aux quarante-cinq membres de la famille Mané. Le vainqueur cette année de la Ligue des champions avec Liverpool et meilleur buteur de la Première ligue ex aequo avec vingt-deux buts « a développé son talent sur ce terrain derrière la maison », rappelle M. Touré, pointant vers une étendue de terre où dribblent quelques enfants perdus dans leurs maillots trop grands.
Ibrahim a dû très tôt s’occuper de Sadio, dont le père, imam du village, est décédé précocement. Ses plus jeunes années, le footballeur les a passées entre l’école coranique et les champs de mil ou d’arachide. « Un jour qu’il refusait de se lever pour la récolte, je lui ai crié dessus », se souvient Ibrahim. « Il m’a dit : “Toi, mon oncle, tu me fatigues. Je vais devenir un footballeur international et je ferai en sorte que vous ne travaillez plus aux champs.” Je lui ai dit merde ! Comment tu veux réussir ? Je ne suis pas un richard, je n’ai pas d’argent pour t’envoyer en formation. Je ne croyais pas en son rêve… », confie l’oncle, aujourd’hui rattrapé par la réalité.
Sur les fugues du jeune Mané, parti dès 15 ans vivre sa passion, la famille ne s’attarde pas. Il y a un peu prescription. Mais à l’ombre de sa villa rénovée par le neveu prodigue, la tante conteste. « Certaines personnes disent qu’on l’a empêché de jouer au foot, mais ce n’est pas vrai », rétorque Tiana Cissé. Evidemment, elle aurait aimé le voir entrer en religion mais, sous le portrait du patriarche, l’imam Fodé Mama Mané dans la grande mosquée de Bambali, qu’un financement de Mané a permis d’achever, elle estime que « c’est très certainement Dieu qui l’a envoyé jusqu’en Europe ». Pour elle, Sadio « a toujours été un enfant gentil, timide qui respecte sa famille ». A peine se souvient-elle avoir dû le gronder lorsqu’il roulait ses chaussettes en boule pour jongler sur le chemin de la boutique, tardant à lui rapporter les courses.
« Son regret d’avoir arrêté l’école en 3e »
A Bambali, la famille Mané n’est pas la seule à bénéficier du succès du prodige casamançais. Depuis son 4 x 4 rutilant, Modou Ndiaye, le maire, raconte aussi les grands projets qu’il nourrit pour le lieu, un œil sur les ouvriers de la compagnie nationale d’électricité qui dressent des poteaux de raccordement pour le lycée que Sadio Mané a fait construire en 2015. « Dans dix ans, je veux que Bambali soit connu partout !, lance-t-il. Nous avons des arbres fromagers centenaires et le fleuve Casamance. Nous cherchons des investisseurs pour construire des hôtels. »
Avec près de 2 000 habitants, Bambali n’est pas encore une station touristique mais affiche déjà le visage de Sadio Mané partout, sous-titré « La fierté de toute une nation ». Le footballeur a déjà posé la première pierre d’un stade et d’un hôpital qui servira les villages environnants. « J’espère qu’il nous aidera aussi pour bituminer la route », glisse le maire qui se décrit comme « le premier nanti ».
Dans la cour de l’établissement scolaire, les filles bavardent pendant que les garçons rejoignent les terrains de foot. De quoi agacer Omar Abdou Mendy, l’ancien professeur d’espagnol de Sadio Mané, qui regrette que « trop d’élèves ont du retard car ils veulent faire comme lui », certains préférant les terrains aux cours. Plus Sadio Mané gagne en prestige international, plus le phénomène s’amplifie. « L’année passée, il a pourtant précisé à tous les élèves l’importance d’étudier et dit son regret d’avoir arrêté l’école en 3e, soutient M. Mendy. En plus du talent, Sadio a eu de la chance. Tous n’en auront pas, mais ils veulent quand même tenter. » A Bambali comme ailleurs, c’est « Barça ou Barzakh »(« Barcelone ou la mort »). Le rêve de réussite prime sur tout.
Moussa Ndione a conscience du destin hors normes de Mané. Professeur d’EPS, il est aussi depuis 2018 l’entraîneur du FC Mansacounda de Bambali, le premier club dans lequel l’international a évolué. « Mané est l’exception, mais il faut d’abord parler de la règle. Sur cent footballeurs de sa génération, il est le seul qui a réussi. Mon but ici, c’est que 90 % réussissent. Et le secret du sport, ce sont les infrastructures. On ne peut pas prospérer sans, martèle-t-il. Ici, le travail est difficile. On a un terrain accidenté traversé par les enfants, les vaches et réquisitionné pendant les périodes de circoncision. » La région est productrice de talents. « S’il y avait plus de moyens, on verrait d’autres Sadio Mané, Krépin Diatta ou Jules Bocandé », jure-t-il.
Pour l’oncle de Mané, ce qui a forgé son ambition, c’est justement cette rusticité. « Nous sommes des campagnards. C’est de là qu’il tient sa force de caractère, appuie Ibrahim Touré. Il a dû souffrir pour en arriver là. Quand il revient, une fois par année, il me sert le thé en guise de respect. C’est son humilité et sa générosité dans le collectif qui font qu’il est le plus grand joueur du monde devant Messi et Ronaldo. »
« 2019 sera l’année Sadio Mané, clame son cousin Babacar Cissé, au sortir du premier match de la CAN où les Lions de la Teranga ont battu Madagascar 2-0, malgré l’absence de leur attaquant star resté sur le banc à cause d’un carton. Je pense que le Sénégal a la meilleure équipe d’Afrique, mais il faut que les joueurs s’entendent entre eux. Si Sadio Mané réussit à les guider, nous gagnerons cette compétition. » Comme tous les jeunes du village, il espère avoir l’occasion de féliciter en personne « l’enfant de Bambali » et, pourquoi pas, caresser la coupe de la CAN après celle de la Ligue des champions, comme on caresserait un rêve matérialisé.
Matteo Maillard
seneplus.com
Piste en latérite bordée de manguiers, poules et moutons dans les cours, maisons aux toits de tôle ou de chaume. Bambali ressemble a priori aux autres villages sénégalais avec ses grappes d’enfants pieds nus dans la poussière. Pourtant, à y regarder de plus près, il y a aussi ce lycée flambant neuf, cette grande bâtisse à colonnes et moulures, et surtout tous ces maillots au numéro 10 écarlate de Liverpool… Bienvenue sur les terres de Sadio Mané.
Aujourd’hui, en pleine Coupe d’Afrique des nations, la star de l’équipe nationale est pressentie pour le Ballon d’or. Ce serait le deuxième Africain à l’obtenir après George Weah. « Tout ce qu’il sait aujourd’hui, il l’a appris ici, à Bambali », lance Ibrahim Touré, l’oncle de l’international sénégalais, en sirotant son thé devant l’imposant manoir offert aux quarante-cinq membres de la famille Mané. Le vainqueur cette année de la Ligue des champions avec Liverpool et meilleur buteur de la Première ligue ex aequo avec vingt-deux buts « a développé son talent sur ce terrain derrière la maison », rappelle M. Touré, pointant vers une étendue de terre où dribblent quelques enfants perdus dans leurs maillots trop grands.
Ibrahim a dû très tôt s’occuper de Sadio, dont le père, imam du village, est décédé précocement. Ses plus jeunes années, le footballeur les a passées entre l’école coranique et les champs de mil ou d’arachide. « Un jour qu’il refusait de se lever pour la récolte, je lui ai crié dessus », se souvient Ibrahim. « Il m’a dit : “Toi, mon oncle, tu me fatigues. Je vais devenir un footballeur international et je ferai en sorte que vous ne travaillez plus aux champs.” Je lui ai dit merde ! Comment tu veux réussir ? Je ne suis pas un richard, je n’ai pas d’argent pour t’envoyer en formation. Je ne croyais pas en son rêve… », confie l’oncle, aujourd’hui rattrapé par la réalité.
Sur les fugues du jeune Mané, parti dès 15 ans vivre sa passion, la famille ne s’attarde pas. Il y a un peu prescription. Mais à l’ombre de sa villa rénovée par le neveu prodigue, la tante conteste. « Certaines personnes disent qu’on l’a empêché de jouer au foot, mais ce n’est pas vrai », rétorque Tiana Cissé. Evidemment, elle aurait aimé le voir entrer en religion mais, sous le portrait du patriarche, l’imam Fodé Mama Mané dans la grande mosquée de Bambali, qu’un financement de Mané a permis d’achever, elle estime que « c’est très certainement Dieu qui l’a envoyé jusqu’en Europe ». Pour elle, Sadio « a toujours été un enfant gentil, timide qui respecte sa famille ». A peine se souvient-elle avoir dû le gronder lorsqu’il roulait ses chaussettes en boule pour jongler sur le chemin de la boutique, tardant à lui rapporter les courses.
« Son regret d’avoir arrêté l’école en 3e »
A Bambali, la famille Mané n’est pas la seule à bénéficier du succès du prodige casamançais. Depuis son 4 x 4 rutilant, Modou Ndiaye, le maire, raconte aussi les grands projets qu’il nourrit pour le lieu, un œil sur les ouvriers de la compagnie nationale d’électricité qui dressent des poteaux de raccordement pour le lycée que Sadio Mané a fait construire en 2015. « Dans dix ans, je veux que Bambali soit connu partout !, lance-t-il. Nous avons des arbres fromagers centenaires et le fleuve Casamance. Nous cherchons des investisseurs pour construire des hôtels. »
Avec près de 2 000 habitants, Bambali n’est pas encore une station touristique mais affiche déjà le visage de Sadio Mané partout, sous-titré « La fierté de toute une nation ». Le footballeur a déjà posé la première pierre d’un stade et d’un hôpital qui servira les villages environnants. « J’espère qu’il nous aidera aussi pour bituminer la route », glisse le maire qui se décrit comme « le premier nanti ».
Dans la cour de l’établissement scolaire, les filles bavardent pendant que les garçons rejoignent les terrains de foot. De quoi agacer Omar Abdou Mendy, l’ancien professeur d’espagnol de Sadio Mané, qui regrette que « trop d’élèves ont du retard car ils veulent faire comme lui », certains préférant les terrains aux cours. Plus Sadio Mané gagne en prestige international, plus le phénomène s’amplifie. « L’année passée, il a pourtant précisé à tous les élèves l’importance d’étudier et dit son regret d’avoir arrêté l’école en 3e, soutient M. Mendy. En plus du talent, Sadio a eu de la chance. Tous n’en auront pas, mais ils veulent quand même tenter. » A Bambali comme ailleurs, c’est « Barça ou Barzakh »(« Barcelone ou la mort »). Le rêve de réussite prime sur tout.
Moussa Ndione a conscience du destin hors normes de Mané. Professeur d’EPS, il est aussi depuis 2018 l’entraîneur du FC Mansacounda de Bambali, le premier club dans lequel l’international a évolué. « Mané est l’exception, mais il faut d’abord parler de la règle. Sur cent footballeurs de sa génération, il est le seul qui a réussi. Mon but ici, c’est que 90 % réussissent. Et le secret du sport, ce sont les infrastructures. On ne peut pas prospérer sans, martèle-t-il. Ici, le travail est difficile. On a un terrain accidenté traversé par les enfants, les vaches et réquisitionné pendant les périodes de circoncision. » La région est productrice de talents. « S’il y avait plus de moyens, on verrait d’autres Sadio Mané, Krépin Diatta ou Jules Bocandé », jure-t-il.
Pour l’oncle de Mané, ce qui a forgé son ambition, c’est justement cette rusticité. « Nous sommes des campagnards. C’est de là qu’il tient sa force de caractère, appuie Ibrahim Touré. Il a dû souffrir pour en arriver là. Quand il revient, une fois par année, il me sert le thé en guise de respect. C’est son humilité et sa générosité dans le collectif qui font qu’il est le plus grand joueur du monde devant Messi et Ronaldo. »
« 2019 sera l’année Sadio Mané, clame son cousin Babacar Cissé, au sortir du premier match de la CAN où les Lions de la Teranga ont battu Madagascar 2-0, malgré l’absence de leur attaquant star resté sur le banc à cause d’un carton. Je pense que le Sénégal a la meilleure équipe d’Afrique, mais il faut que les joueurs s’entendent entre eux. Si Sadio Mané réussit à les guider, nous gagnerons cette compétition. » Comme tous les jeunes du village, il espère avoir l’occasion de féliciter en personne « l’enfant de Bambali » et, pourquoi pas, caresser la coupe de la CAN après celle de la Ligue des champions, comme on caresserait un rêve matérialisé.
Matteo Maillard
seneplus.com