1. Otages
Pour un peu, le Sénégal en aurait oublié ce conflit de basse intensité qui constitue sa seule expérience d’une guerre sur son territoire depuis l’indépendance. Le 24 janvier, un accrochage survient dans la zone frontalière entre la Gambie et le Sénégal. Deux soldats sénégalais appartenant à la Mission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest en Gambie (Micega) sont tués dans les combats, tandis que sept autres sont capturés avant d’être libérés plusieurs jours plus tard devant les journalistes.
À l’origine de cet incident, la branche du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) dirigée par le chef de guerre Salif Sadio, qui revendique l’autonomie de cette région méridionale que les autorités sénégalaises sont régulièrement accusées de délaisser.
2. Irréductible
Salif Sadio cumule les fonctions politiques et militaires à la tête de sa faction du MFDC depuis sa rupture avec l’abbé Diamacoune – le chef charismatique du mouvement indépendantiste, décédé en 2007 – et avec Mamadou Nkrumah Sané (son fondateur). Lequel déclarait à Jeune Afrique, en 2011 : « Wade perdra à cause de nous en 2012 tout comme Diouf a perdu à cause de nous en 2000 ».
Salif Sadio se considère désormais comme le seul chef légitime du MFDC, même si son rival, César Atoute Badiate, continue de régner sur le front Sud de la rébellion. « Dans son maquis, la discipline est totale, indique une source qui l’a rencontré à plusieurs reprises. Il est un chef incontesté et jamais l’armée sénégalaise n’est parvenue à l’écraser. »
« Même si, officiellement, le MFDC réunit toutes les composantes du pays, l’ethnie diola en constitue le socle », commente un bon connaisseur du dossier. « Il est secret, soupçonneux, voire paranoïaque, très difficile à approcher », ajoute un expert du conflit casamançais, qui n’est jamais parvenu lui-même à le rencontrer.
Salif Sadio cultive la légende d’un « pur », d’un incorruptible, alimentée par son image de pieux musulman. Mais il serait aussi capable d’une brutalité extrême afin de se maintenir au pouvoir dans son organisation, quitte à se débarrasser sommairement des rivaux et contradicteurs.
3. Trafics
Pour financer sa rébellion, quatre décennies après sa naissance, Salif Sadio en est réduit aux trafics. Outre le cannabis, dont la culture est propice sur les terres de la verte Casamance, le MFDC est soupçonné de « se sucrer » au passage sur le trafic de bois de rose, une espèce prisée qui fait l’objet d’un trafic juteux vers la Chine.
Le 24 janvier, c’est d’ailleurs ce trafic prohibé qui a été à l’origine de l’accrochage meurtrier entre un groupe de soldats sénégalais de la Micega et les rebelles du MFDC, à la frontière sénégalo-gambienne. Les militaires entendaient en effet contrôler des camions chargés de ce bois précieux, coupé en Casamance avant d’être exporté par containers entiers depuis le port de Banjul.
4. Conflit sans fin
Depuis le début des années 1980, un seul mot d’ordre : l’indépendance de la Casamance, sinon rien. Quarante ans après le début du conflit, auquel trois présidents sénégalais successifs ont été confrontés (Abdou Diouf, Abdoulaye Wade puis Macky Sall), la Casamance vit entre la guerre et la paix, dans le cadre d’un conflit de basse intensité qui est revenu sur le devant de la scène à la suite du récent accrochage meurtrier.
« Il campe sur ses positions et a du mal à parvenir à un compromis, alors même que depuis 2012 c’est lui qui est demandeur de négociations avec Dakar, témoigne un bon connaisseur du dossier. Lorsqu’un compromis est sur la table, il en soupèse tous les termes méticuleusement. » « Macky Sall a affiché très vite sa volonté de régler pacifiquement la crise et il y a eu un round d’observation rapidement après son élection », observe un ministre de l’époque.
5. Médiations
« Moi, César Atoute Badiate, préfère la paix en Casamance plus que quiconque. Le 3 janvier 2012, nous nous sommes entendus avec le collectif des cadres de la Casamance [sur le fait] que ce conflit doit être impérativement réglé par Sant’Egidio car les religieux sont plus crédibles et moins corrompus », déclarait il y a dix ans le rival de Salif Sadio.
Un point d’accord entre les deux branches du MFDC qui explique pourquoi le père Angelo Romano, médiateur de longue date de la communauté Sant’Egidio dans le conflit, a obtenu récemment la libération des militaires sénégalais capturés par le MFDC. Autre médiateur récurrent dans le conflit, le Casamançais Robert Sagna, qui fut ministre pendant tout le règne d’Abdou Diouf.
Autant d’initiatives qui avaient conduit, en 2014, à un cessez-le-feu unilatéral des troupes de Salif Sadio. L’incident meurtrier du 24 janvier est venu le rompre tragiquement.
6. Médias
On le dit accro à l’info, se tenant quotidiennement informé depuis le maquis. Pourtant, peu de journalistes ont eu le privilège de l’approcher. Parmi eux, le Sénégalais Ibrahima Gassama, de Zig’FM, une radio locale casamançaise, et Allen Yero Embalo, le correspondant de l’AFP et RFI en Guinée-Bissau. Au cours des dernières années, Salif Sadio a réservé ses sorties tonitruantes à une poignée de journalistes gambiens triés sur le volet.
Lors de l’exhibition puis de la libération des soldats sénégalais, le chef de guerre a toutefois tenu à médiatiser ce fait d’armes.
7. Spectacle macabre
La libération des militaires sénégalais retenus en otages et la restitution de leurs deux compagnons morts au combat a fait l’objet d’une mise en scène macabre. Devant un groupe de journalistes sénégalais et gambiens autorisés pour l’occasion à approcher les combattants, les prisonniers ont été exhibés, les mains ligotées dans le dos, tout comme les deux cadavres, qui n’avaient pu être conservés dans des conditions dignes de ce nom. Un journaliste présent sur les lieux confie à JA garder le traumatisme de l’évènement.
8. Yahya Jammeh
Son départ, après 22 années de règne despotique, aura été une double bénédiction pour le Sénégal, pays scindé en deux par la Gambie, encastrée dans son voisin. D’abord car le retour à la démocratie a apaisé la relation entre les deux pays ; mais aussi parce que la Gambie de Yayah Jammeh a longtemps servi de base arrière au Front nord du MFDC, commandé par Salif Sadio.
9. Célibataire
Il a fait vœu de célibat jusqu’au jour où sa cause serait couronnée de succès, comme il l’indiquait encore en 2020 à un média gambien. « Cela n’est pas terminé aujourd’hui et ça ne prendra pas fin demain. Nous irons jusqu’au bout. Les combats prendront fin le jour où le Sénégal quittera la terre de Casamance. Regardez ma barbe : j’ai plus de 60 ans mais je ne suis toujours pas marié. J’ai juré que je ne me marierais pas tant que nous n’aurions pas repris notre terre. »
10. Avenir
Salif Sadio a-t-il encore un avenir ? « Il se débat dans un dilemme, estime une source proche du dossier : soit il conserve une identité militaire pure et dure, soit il devient un cadre politique qui s’exprimera par d’autres voies. L’objectif de la négociation est de lui faire accepter cette deuxième option. »