Que ce soit dans les négociations entre Washington et les talibans ou pour son aide potentielle dans les évacuations d'Afghanistan, le Qatar est devenu un acteur-clé de la crise afghane. Analyse de Karim Sader, politologue et spécialiste des pays du Golfe.
Comment le Qatar s’est-il imposé dans la crise afghane en cours ?
Ce n’est pas du tout une surprise et surtout ça n’est pas récent. L’antenne des talibans à Doha a été installée il y a plus de dix ans. Il est de tradition que le Qatar accueille des activistes de toutes tendances islamistes : des activistes du Caucase, des dirigeants du Hamas palestinien… et les talibans donc. Le Qatar est un pays dont la richesse immense est inversement proportionnelle à la vulnérabilité géopolitique. Il s’est construit une notoriété et une légitimité sur sa flexibilité diplomatique. Ce micro-émirat s’est engagé depuis longtemps comme médiateur-clé dans plusieurs théâtres de crise, tantôt entre Orient et Occident, tantôt entre pays de la région (au Soudan dans la crise du Darfour, au Liban, etc.).
Sa flexibilité a fait de lui un acteur-clé qui joue de ses paradoxes : il accueille des mouvances islamistes tout en hébergeant la plus grande base militaire américaine hors États-Unis : le Centcom. Le pays qui accueille cette infrastructure militaire américaine est capable depuis des années de parler avec les mouvances islamistes, comme les talibans actuellement.
De 2017 jusqu’au début de cette année 2021, le Qatar a été boycotté par plusieurs de ses voisins arabes (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Bahreïn, Égypte), furieux de ces liens que Doha entretient avec des mouvements islamistes. Le Qatar marque un point aujourd’hui en récoltant les fruits de sa politique ?
Je dirais que le Qatar prend sa revanche. Lorsque les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Bahreïn et l’Égypte ont mis le Qatar en quarantaine en juin 2017, l’idée était de l’étrangler pour l’empêcher de poursuivre cette politique de soutien aux mouvements islamistes, en particulier des Frères musulmans. Le Qatar a résisté à ce blocus et aujourd’hui il « regagne le cœur » de son allié américain qui était embarrassé par cette brouille parmi les alliés de Washington dans la région. En apparaissant au premier plan en Afghanistan, le Qatar dame le pion des Émirats arabes unis.
Le paradoxe, c’est que les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Pakistan avaient reconnu le premier régime taliban en Afghanistan (1996-2001) mais pas le Qatar à l’époque. Mais aujourd’hui, l’Arabie de Mohammed ben Salman et les Émirats arabes unis de Mohammed ben Zayed sont rentrés dans une logique « anti-islamiste » qui ne leur permet pas de jouer ce rôle-clé de médiateur avec les talibans.
On parle aussi du Qatar (et de son alliée la Turquie) pour un rôle dans la gestion future de l’aéroport de Kaboul. Y a-t-il aussi un risque pour le Qatar et des « coups à prendre » en s’exposant en Afghanistan ?
Le Qatar a probablement tiré les leçons des printemps arabes. Dans les années 1990-2000, il multipliait les médiations, mais à partir des printemps arabes de 2011, il s’est aussi exposé militairement en Libye et en Syrie. Après l’épisode du boycott qu’il a subi, le Qatar devrait revenir beaucoup plus prudemment à son rôle de médiateur et moins s’exposer pour ne pas être taxé de faire le jeu de l’un ou de l’autre. C’est un jeu d’équilibriste que le Qatar doit jouer à nouveau. Et il devrait être aux avant-postes de la gestion de l’aéroport, car les talibans ont beaucoup moins confiance en la Turquie. C’est le Qatar qui a tissé les liens les plus solides avec les nouveaux maîtres de l’Afghanistan.
RFI
Comment le Qatar s’est-il imposé dans la crise afghane en cours ?
Ce n’est pas du tout une surprise et surtout ça n’est pas récent. L’antenne des talibans à Doha a été installée il y a plus de dix ans. Il est de tradition que le Qatar accueille des activistes de toutes tendances islamistes : des activistes du Caucase, des dirigeants du Hamas palestinien… et les talibans donc. Le Qatar est un pays dont la richesse immense est inversement proportionnelle à la vulnérabilité géopolitique. Il s’est construit une notoriété et une légitimité sur sa flexibilité diplomatique. Ce micro-émirat s’est engagé depuis longtemps comme médiateur-clé dans plusieurs théâtres de crise, tantôt entre Orient et Occident, tantôt entre pays de la région (au Soudan dans la crise du Darfour, au Liban, etc.).
Sa flexibilité a fait de lui un acteur-clé qui joue de ses paradoxes : il accueille des mouvances islamistes tout en hébergeant la plus grande base militaire américaine hors États-Unis : le Centcom. Le pays qui accueille cette infrastructure militaire américaine est capable depuis des années de parler avec les mouvances islamistes, comme les talibans actuellement.
De 2017 jusqu’au début de cette année 2021, le Qatar a été boycotté par plusieurs de ses voisins arabes (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Bahreïn, Égypte), furieux de ces liens que Doha entretient avec des mouvements islamistes. Le Qatar marque un point aujourd’hui en récoltant les fruits de sa politique ?
Je dirais que le Qatar prend sa revanche. Lorsque les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, Bahreïn et l’Égypte ont mis le Qatar en quarantaine en juin 2017, l’idée était de l’étrangler pour l’empêcher de poursuivre cette politique de soutien aux mouvements islamistes, en particulier des Frères musulmans. Le Qatar a résisté à ce blocus et aujourd’hui il « regagne le cœur » de son allié américain qui était embarrassé par cette brouille parmi les alliés de Washington dans la région. En apparaissant au premier plan en Afghanistan, le Qatar dame le pion des Émirats arabes unis.
Le paradoxe, c’est que les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Pakistan avaient reconnu le premier régime taliban en Afghanistan (1996-2001) mais pas le Qatar à l’époque. Mais aujourd’hui, l’Arabie de Mohammed ben Salman et les Émirats arabes unis de Mohammed ben Zayed sont rentrés dans une logique « anti-islamiste » qui ne leur permet pas de jouer ce rôle-clé de médiateur avec les talibans.
On parle aussi du Qatar (et de son alliée la Turquie) pour un rôle dans la gestion future de l’aéroport de Kaboul. Y a-t-il aussi un risque pour le Qatar et des « coups à prendre » en s’exposant en Afghanistan ?
Le Qatar a probablement tiré les leçons des printemps arabes. Dans les années 1990-2000, il multipliait les médiations, mais à partir des printemps arabes de 2011, il s’est aussi exposé militairement en Libye et en Syrie. Après l’épisode du boycott qu’il a subi, le Qatar devrait revenir beaucoup plus prudemment à son rôle de médiateur et moins s’exposer pour ne pas être taxé de faire le jeu de l’un ou de l’autre. C’est un jeu d’équilibriste que le Qatar doit jouer à nouveau. Et il devrait être aux avant-postes de la gestion de l’aéroport, car les talibans ont beaucoup moins confiance en la Turquie. C’est le Qatar qui a tissé les liens les plus solides avec les nouveaux maîtres de l’Afghanistan.
RFI