Jumia : Le leader du e-commerce tombé en disgrâce

Dimanche 3 Mai 2020

Un an après ses débuts à la Bourse de New York, la start-up de e-commerce Jumia a fermé ses portes dans trois pays africains, n'arrive pas à faire des bénéfices et s'est fait jeter par ses propriétaires d'origine, écrit Larry Madowo, ancien rédacteur en chef de BBC Africa Business.

Les deux PDG de Jumia ont annoncé plus tôt ce mois-ci qu'ils réduisaient de 25 % leur salaire pour aider la plateforme à gérer les coûts pendant la pandémie de coronavirus.

En 2019, le duo et le directeur financier de l'entreprise ont gagné un total de 5,3 millions de dollars en salaires et en primes. Mais les pertes de Jumia ont augmenté de 34 % pour atteindre 246 millions de dollars, soit la huitième année consécutive sans profits pour la compagnie.

Mais l'arrêt de l'activité économique s'est révélé être pour Jumia une aubaine, qui s'est traduit par une forte augmentation des achats en ligne. Avant cette récente affluence, la Marketplace africaine avait terminé l'année dernière avec 6,1 millions de consommateurs actifs sur ses sites web, contre 4 millions auparavant.

Fierté africaine

Avec la propagation du virus, Jumia a élargi son offre en matière d'épicerie et de produits sanitaires, a introduit des options de livraison sans contact et a encouragé les paiements par voie électronique ou par mobile money.

Elle a également commencé à vendre des articles de première nécessité en Afrique du Sud via l'infrastructure de sa filiale de prêt à porter Zando.

Les deux Français qui dirigent Jumia en tant que co-PDG, Jeremy Hodara et Sacha Poignonnec, ont réduit leurs salaires quelques jours seulement avant le premier anniversaire de son introduction en bourse (IPO) sur le New York Stock Exchange (NYSE).

Lors de l'introduction en bourse en avril dernier, Juliet Anammah s'est rendue à la tente de contrôle de sécurité en face de la plus célèbre bourse du monde.

Une autre femme se tenant à proximité avait pris une photo d'une grande bannière drapée sur la façade du bâtiment emblématique portant le logo de Jumia : "la première start-up technologique africaine à être cotée au NYSE".

"Je travaille à Wall Street depuis 25 ans et je n'y ai jamais vu une bannière africaine", avait-t-elle déclaré à Mme Annamah, alors PDG de la société au Nigeria.

Un déclin spectaculaire
Jumia est un géant en ligne à trois têtes : un marché avec un milliard de visites annuelles largement dominé par des ''vendeurs actifs'', une branche logistique qui gère les expéditions et les livraisons, et une plateforme de paiement.

Le 12 avril 2019, à 9h30 précises, Mme Anammah a fait sonner la cloche au-dessus de la salle des marchés de la bourse devant ses collègues.

"Il n'y a pas eu de champagne après cela pour célébrer. Nous sommes toujours une start-up", se souvenait-elle récemment à son bureau de Lagos.Jumia est cotée alors à 14,50 dollars l'action, ce qui valorise la société à 1,1 milliard de dollars.

Quatre jours après son entrée en bourse, l'action avait atteint 49,77 dollars, ce qui avait porté sa valeur à 3,8 milliards de dollars, un record pour une start-up africaine.

Cela n'a pas duré. En quelques semaines, l'action de Jumia a subi une chute spectaculaire, accablée par des allégations de fraude et de pertes dissimulées, des accusations portées par un vendeur à découvert, d'embarrassantes poursuites pour fraude devant les tribunaux de New York et un désastre en termes de relations publiques sur son ''africanité''.

Le cours de l'action a atteint un plancher historique de 2,15 dollars en août dernier et n'a pas bougé depuis.

L'entreprise a quitté successivement trois de ses 14 marchés nationaux - le Rwanda, la Tanzanie et le Cameroun - dans un effort pour renouer avec la rentabilité.

Une année tumultueuse
Une semaine le premier anniversaire de son entrée en bourse, son propriétaire initial, l'investisseur allemand Rocket Internet, a cédé la totalité de ses 11 %, ce qui a encore plus assombri la situation de Jumia.

"La première année de Jumia à la Bourse de New York reflète bien la valeur de la société", déclare Rebecca Enonchong, une web entrepreneure camerounaise et critique de l'entreprise.

"L'orgueil de l'introduction en bourse a fait place à la réalité d'un mauvais modèle économique. Le cours de l'action, qui oscille sous les 3 dollars, en est le reflet".
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