Bien que la polygamie soit admise par l’islam et par notre législation, certains hommes au Sénégal n’osent pas exercer ce droit librement. Voulant convoler en secondes noces, ils le font dans la plus grande discrétion à l’insu de tout le monde, et plus particulièrement de leur première épouse. Cette pratique est appelée dans le langage courant, «takku souf», comprenez par là «mariage en cachette». Bien qu’on en parle peu, c’est une réalité que certaines femmes vivent. Pourquoi accepter d’être une épouse cachée, à la limite une concubine? Cette pratique est-elle conforme à l’islam? SeneNews brise l’omerta sur une pratique taboue.
Mon patron s’est marié en cachette avec une jeune stagiaire…
La question est une d’une grande sensibilité. Cela explique certainement toute notre difficulté à trouver des interlocuteurs qui veulent bien témoigner leur expérience d’épouse cachée ou de maris qui cache une seconde épouse. Tout au plus, certaines personnes ayant accepté de témoigner soutiennent connaitre des personnes de leur entourage qui ont vécu l’expérience.
C’est le cas de la dame G. S qui accepte de nous livrer les secrets du «takku suff» de son patron occupant d’importantes responsabilités dans l’administration sénégalaise. » Mon patron s’est marié en cachette avec une jeune stagiaire venue récemment dans la boite. Sa première femme n’en sait rien et croit toujours être l’unique épouse de son mari».
Et notre interlocutrice de continuer: » La seconde épouse vit dans un luxueux appartement avec mon patron. Donc ce phénomène est bien réel et j’en sais quelque chose«.
De l’avis de notre interlocutrice certaines femmes acceptent cette situation soit par intérêt financier, soit par crainte de ne pas trouver un mari. Selon elle, dans la plupart des cas, ce sont des hommes plein au as qui s’adonnent à cette pratique.
C’est de l’irresponsabilité … un homme doit assumer ses actes …
Trouvé dans un «grand place» entre de jouer et de boire du thé, un groupe d’homme a voulu échanger avec nous sur la question. A peine avons nous fini de formuler notre question, A.S un quinquagénaire se lâche:» les hommes qui le font sont des poltrons. On a le droit d’épouser jusqu’à quatre femmes et on n’a pas à se cacher. C’est irresponsable, un homme doit assumer ses actes«.
A côté de lui, T.G assis sur une natte délabrée prend le contre pied:» Puisque c’est pas interdit par l’islam, on peut le faire même si c’est pas souhaitable». Les propos de ce dernier font éclater de rire toute l’assemblée qui l’a charrié en le taxant de poltron.
Qu’en pense la gent féminine?
Il fallait s’y attendre, les femmes avalent difficilement cette pilule qu’elles considèrent comme une trahison et un manque de respect à leur égards. En tout cas, K.F ne dira pas le contraire. Trouvé devant un arrêt de bus situé à la Patte d’oie, notre interlocutrice n’y est allée par le dos de la cuillère pour cracher sa bile sur les hommes adeptes du Takku souf:
» Aucun responsable ne doit se comporter de la sorte. C’est de la trahison pure et simple. Si j’apprenais que mon mari l’a fait, je n’hésiterai pas à le quitter » . Et la jeune dame de fustiger» La faute est à ces femmes qui acceptent de jouer le jeu de l’épouse cachée comme une concubine, c’est indigne» renchérit-elle.
La jeune T.D quant à elle estime qu’un homme qui n’est pas capable de dire à sa première femme qu’il prend une deuxième épouse ne mérite pas la confiance d’une autre femme. Ce n’est pas courageux, ajoute-elle.
Quid de la position de l’islam sur la question?
L’islam n’est pas restée muette sur ce phénomène sensible. Interrogé sur la question, Oustaz Alioune SALL, un prêcheur très connu du grand public se veut clair:» Le fait que la première épouse ne soit pas au courant du second mariage de son mari n’entame en rien la validité de ce second mariage. Donc, d’un point de vue islamique le takku souf est un mariage valable«.
Toutefois, tempère-t-il » Ce n’est pas souhaitable, ni recommandé car ce type de mariage peut engendrer beaucoup de problèmes«. A titre d’exemple en cas de décès du mari, il se posera des difficultés liées à l’héritage car l’épouse cachée ainsi que les enfants issus de ce ménage auront du mal à entrer dans leurs droits en tant qu’héritier.
Et le prêcheur d’ajouter: «Le prophète (PSL) recommande de rendre public les mariages pour que nul n’en ignore l’existence».
Quoi qu’il en soit les hommes et les femmes adeptes du Takkou Suuf semblent y trouver leur compte malgré tout ce que cela peut engendrer comme problèmes.
Reportage réalisé par Abdoulaye FALL