C’était il y a un an. À l’époque, Macky Sall cherche à apaiser le climat politique au Sénégal. Lui-même a déjà annoncé qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat à la tête du pays lors de l’élection du 25 février. Or la campagne du Premier ministre Amadou Ba est poussive, et l’opposant Ousmane Sonko, bien qu’incarcéré à la prison de Cap Manuel, joue le tout pour le tout pour faire valider sa candidature.
Un soir, le président sénégalais choisit de faire part de sa préoccupation à quelques-uns de ses proches réunis pour un dîner organisé dans sa résidence de Mermoz, à Dakar. Ousmane Yara a pris place autour de la table et ne perdra pas une miette de ce qui s’y dira.
Macky Sall et cet homme d’affaires malien installé à Dakar se connaissent depuis plusieurs années. Ils se sont rencontrés au début des années 2000, à l’époque où le premier était le chef du gouvernement d’Abdoulaye Wade. Ousmane Yara est l’un de ces personnages équivoques, à qui les affaires ont réussi et qui s’épanouit dans l’ombre des puissants pour lesquels il joue volontiers les intermédiaires.
Ce soir-là, il propose à Macky Sall de mener des négociations en son nom avec Ousmane Sonko. Le chef de l’État hésite, redoute une levée de boucliers dans son propre camp, mais finit par se laisser convaincre. Et c’est ainsi que le Malien entre en scène quelques jours plus tard. Il rencontrera à plusieurs reprises le chef des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), porteur à chaque fois de messages du président sénégalais.
L’ombre et la lumière
Des mois ont passé. Après plusieurs tentatives infructueuses, nous le rencontrons une première fois en août 2024, à Dakar, dans un salon de l’hôtel Teranga, soucieux d’en savoir plus sur le rôle qu’il a joué dans la décrispation entre Macky Sall et Ousmane Sonko. La nuit est depuis longtemps tombée sur la capitale sénégalaise quand Ousmane Yara explique avoir « juste voulu aider un ami » qui était dos au mur. « J’ai vu que la direction dans laquelle certains voulaient le pousser lui créerait des problèmes, et créerait des problèmes au pays. Si je vois qu’un pays brûle et que j’ai la solution pour éteindre l’incendie, pourquoi ne le ferais-je pas ? »
Nous le reverrons dans les derniers jours de l’année 2024, dans un restaurant de l’avenue George-V, à Paris. Notre interlocuteur y a visiblement ses habitudes. Au fil de nos échanges se dessine le parcours d’un homme qui prospère dans l’ombre mais ne dédaigne pas la lumière.
Fils d’un diamantaire malien, Ousmane Yara est né en janvier 1970 à Lubumbashi, dans le sud de ce qui ne s’appelle pas encore la RDC – son père y possède un comptoir. Mais c’est à Conakry, auprès d’un oncle paternel, qu’il grandit. « La Guinée est mon pays d’adoption, confie-t-il. J’y ai rejoint le jeune frère de mon père, qui y vivait depuis plusieurs années. C’était juste après le décès de Sékou Touré, en 1984. »
Il ne s’étend pas sur le sujet, mais l’un de ses cousins n’est autre que Samba Bathily, un homme dont les affaires vont devenir florissantes et qui côtoiera le tout Conakry. Ousmane Yara fait bientôt la connaissance des fils de Lansana Conté, puis d’Ibrahima Kassory Fofana (« un grand frère quand il était ministre des Finances »), et enfin d’Alpha Condé.
Palais présidentiels et pétrole nigérian
Arrivé au pouvoir, fin 2010, ce dernier se prend d’affection pour les deux cousins. Il prend Ousmane Yara sous son aile et lui ouvre les portes d’autres palais. « Grâce à lui, j’ai pu côtoyer Mahamadou Issoufou, Ibrahim Boubacar Keïta, Muhammadu Buhari et même le président sud-africain Jacob Zuma », énumère-t-il.
La première fois que son nom apparaît dans nos colonnes, c’est d’ailleurs en lien avec une médiation menée par Alpha Condé. Et il s’agit déjà de Sénégal : à la demande du chef de l’État guinéen, Ousmane Yara fait partie de ceux qui, en 2019, ont convaincu Abdoulaye Wade de renoncer à imposer la candidature de son fils Karim à la présidentielle – à condition que celui-ci puisse concourir à celle de 2024.
Si la Guinée lui permet de tisser son réseau, c’est au Nigeria qu’Ousmane Yara fait fortune, notamment dans le pétrole. Pour réussir dans le monde des affaires, il s’est attiré la bienveillance de l’un des hommes les plus fortunés d’Afrique, Aliko Dangote, qu’il accompagne parfois lors de ses déplacements à l’étranger. Ainsi est Ousmane Yara : discret sur certains épisodes de sa vie, mais volontiers disert sur d’autres.
Investiture de Donald Trump
En 2017, le voici qui se rend en Libye. Cette année-là, les médias rendent compte de l’horreur qu’y vivent des milliers d’Africains, arrêtés sur le chemin de l’exil et vendus aux enchères. Mandaté par l’Union africaine alors présidée par Alpha Condé, Ousmane Yara se rend à Tobrouk pour y rencontrer Aguila Salah Issa, le président du Parlement libyen autoproclamé, afin de négocier le retour de migrants dans leurs pays d’origine. Par la même occasion, Ousmane Yara s’entretiendra avec le général Khalifa Haftar, devenu alors l’homme fort de l’Est libyen.
Lorsque nous le revoyons à Paris, fin 2024, Ousmane explique avoir profité de la visite d’État du Nigérian Bola Tinubu, les 28 et 29 novembre, pour s’entretenir avec ce président qu’il connaît depuis une vingtaine d’années et qu’il considère comme « un grand frère ». À Accra, où il s’est rendu quelques jours plus tard, il a fêté la victoire de John Dramani Mahama à l’élection présidentielle du 8 décembre – il avait soutenu sa candidature face à celle de Mahamudu Bawumia. Puis il s’est envolé pour les États-Unis, « un tour rapide, pour discuter avec le comité d’organisation de l’investiture de Donald Trump et préparer la venue de certains chefs d’État africains ».
Carnet d’adresses contre marchés publics ?
À ceux qui doutent de son carnet d’adresses, il n’hésite pas à montrer, en guise de preuve, des clichés le montrant en compagnie de tel ou tel président. « Le continent n’a pas de secret pour moi », se vante-t-il. « L’argent l’intéresse moins que le fait de murmurer à l’oreille des puissants », dit de lui un homme politique sénégalais. Il n’a pourtant pas que des amis. Dans l’entourage de l’ancien président sénégalais, certains lui reprochent encore d’avoir travaillé contre la candidature d’Amadou Ba et contribué à sa défaite. Une accusation que formulera ouvertement Oumar Sow, un conseiller de Macky Sall, quelques jours après l’élection présidentielle finalement organisée le 24 mars 2024.
Une autre de nos sources n’est pas moins sévère. « Il ressemble surtout à l’un de ces hommes d’affaires qui cherchent à être proches des palais présidentiels pour avoir en retour un accès aux marchés publics », critique un chef d’entreprise ouest-africain. Une accusation que l’intéressé goûte peu : « Il n’y a aucun chef d’État que j’ai aidé et qui, en retour, m’a facilité l’obtention de marchés publics », rétorque-t-il.
Macky Sall, qui sait la complexité de l’homme, l’avait ainsi résumé en souriant en novembre 2023, lors de l’inauguration d’un hôtel du groupe Azalaï, à Dakar : « Ousmane Yara est un homme très exceptionnel et très dangereux. »
Jeune Afrique
Un soir, le président sénégalais choisit de faire part de sa préoccupation à quelques-uns de ses proches réunis pour un dîner organisé dans sa résidence de Mermoz, à Dakar. Ousmane Yara a pris place autour de la table et ne perdra pas une miette de ce qui s’y dira.
Macky Sall et cet homme d’affaires malien installé à Dakar se connaissent depuis plusieurs années. Ils se sont rencontrés au début des années 2000, à l’époque où le premier était le chef du gouvernement d’Abdoulaye Wade. Ousmane Yara est l’un de ces personnages équivoques, à qui les affaires ont réussi et qui s’épanouit dans l’ombre des puissants pour lesquels il joue volontiers les intermédiaires.
Ce soir-là, il propose à Macky Sall de mener des négociations en son nom avec Ousmane Sonko. Le chef de l’État hésite, redoute une levée de boucliers dans son propre camp, mais finit par se laisser convaincre. Et c’est ainsi que le Malien entre en scène quelques jours plus tard. Il rencontrera à plusieurs reprises le chef des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), porteur à chaque fois de messages du président sénégalais.
L’ombre et la lumière
Des mois ont passé. Après plusieurs tentatives infructueuses, nous le rencontrons une première fois en août 2024, à Dakar, dans un salon de l’hôtel Teranga, soucieux d’en savoir plus sur le rôle qu’il a joué dans la décrispation entre Macky Sall et Ousmane Sonko. La nuit est depuis longtemps tombée sur la capitale sénégalaise quand Ousmane Yara explique avoir « juste voulu aider un ami » qui était dos au mur. « J’ai vu que la direction dans laquelle certains voulaient le pousser lui créerait des problèmes, et créerait des problèmes au pays. Si je vois qu’un pays brûle et que j’ai la solution pour éteindre l’incendie, pourquoi ne le ferais-je pas ? »
Nous le reverrons dans les derniers jours de l’année 2024, dans un restaurant de l’avenue George-V, à Paris. Notre interlocuteur y a visiblement ses habitudes. Au fil de nos échanges se dessine le parcours d’un homme qui prospère dans l’ombre mais ne dédaigne pas la lumière.
Fils d’un diamantaire malien, Ousmane Yara est né en janvier 1970 à Lubumbashi, dans le sud de ce qui ne s’appelle pas encore la RDC – son père y possède un comptoir. Mais c’est à Conakry, auprès d’un oncle paternel, qu’il grandit. « La Guinée est mon pays d’adoption, confie-t-il. J’y ai rejoint le jeune frère de mon père, qui y vivait depuis plusieurs années. C’était juste après le décès de Sékou Touré, en 1984. »
Il ne s’étend pas sur le sujet, mais l’un de ses cousins n’est autre que Samba Bathily, un homme dont les affaires vont devenir florissantes et qui côtoiera le tout Conakry. Ousmane Yara fait bientôt la connaissance des fils de Lansana Conté, puis d’Ibrahima Kassory Fofana (« un grand frère quand il était ministre des Finances »), et enfin d’Alpha Condé.
Palais présidentiels et pétrole nigérian
Arrivé au pouvoir, fin 2010, ce dernier se prend d’affection pour les deux cousins. Il prend Ousmane Yara sous son aile et lui ouvre les portes d’autres palais. « Grâce à lui, j’ai pu côtoyer Mahamadou Issoufou, Ibrahim Boubacar Keïta, Muhammadu Buhari et même le président sud-africain Jacob Zuma », énumère-t-il.
La première fois que son nom apparaît dans nos colonnes, c’est d’ailleurs en lien avec une médiation menée par Alpha Condé. Et il s’agit déjà de Sénégal : à la demande du chef de l’État guinéen, Ousmane Yara fait partie de ceux qui, en 2019, ont convaincu Abdoulaye Wade de renoncer à imposer la candidature de son fils Karim à la présidentielle – à condition que celui-ci puisse concourir à celle de 2024.
Si la Guinée lui permet de tisser son réseau, c’est au Nigeria qu’Ousmane Yara fait fortune, notamment dans le pétrole. Pour réussir dans le monde des affaires, il s’est attiré la bienveillance de l’un des hommes les plus fortunés d’Afrique, Aliko Dangote, qu’il accompagne parfois lors de ses déplacements à l’étranger. Ainsi est Ousmane Yara : discret sur certains épisodes de sa vie, mais volontiers disert sur d’autres.
Investiture de Donald Trump
En 2017, le voici qui se rend en Libye. Cette année-là, les médias rendent compte de l’horreur qu’y vivent des milliers d’Africains, arrêtés sur le chemin de l’exil et vendus aux enchères. Mandaté par l’Union africaine alors présidée par Alpha Condé, Ousmane Yara se rend à Tobrouk pour y rencontrer Aguila Salah Issa, le président du Parlement libyen autoproclamé, afin de négocier le retour de migrants dans leurs pays d’origine. Par la même occasion, Ousmane Yara s’entretiendra avec le général Khalifa Haftar, devenu alors l’homme fort de l’Est libyen.
Lorsque nous le revoyons à Paris, fin 2024, Ousmane explique avoir profité de la visite d’État du Nigérian Bola Tinubu, les 28 et 29 novembre, pour s’entretenir avec ce président qu’il connaît depuis une vingtaine d’années et qu’il considère comme « un grand frère ». À Accra, où il s’est rendu quelques jours plus tard, il a fêté la victoire de John Dramani Mahama à l’élection présidentielle du 8 décembre – il avait soutenu sa candidature face à celle de Mahamudu Bawumia. Puis il s’est envolé pour les États-Unis, « un tour rapide, pour discuter avec le comité d’organisation de l’investiture de Donald Trump et préparer la venue de certains chefs d’État africains ».
Carnet d’adresses contre marchés publics ?
À ceux qui doutent de son carnet d’adresses, il n’hésite pas à montrer, en guise de preuve, des clichés le montrant en compagnie de tel ou tel président. « Le continent n’a pas de secret pour moi », se vante-t-il. « L’argent l’intéresse moins que le fait de murmurer à l’oreille des puissants », dit de lui un homme politique sénégalais. Il n’a pourtant pas que des amis. Dans l’entourage de l’ancien président sénégalais, certains lui reprochent encore d’avoir travaillé contre la candidature d’Amadou Ba et contribué à sa défaite. Une accusation que formulera ouvertement Oumar Sow, un conseiller de Macky Sall, quelques jours après l’élection présidentielle finalement organisée le 24 mars 2024.
Une autre de nos sources n’est pas moins sévère. « Il ressemble surtout à l’un de ces hommes d’affaires qui cherchent à être proches des palais présidentiels pour avoir en retour un accès aux marchés publics », critique un chef d’entreprise ouest-africain. Une accusation que l’intéressé goûte peu : « Il n’y a aucun chef d’État que j’ai aidé et qui, en retour, m’a facilité l’obtention de marchés publics », rétorque-t-il.
Macky Sall, qui sait la complexité de l’homme, l’avait ainsi résumé en souriant en novembre 2023, lors de l’inauguration d’un hôtel du groupe Azalaï, à Dakar : « Ousmane Yara est un homme très exceptionnel et très dangereux. »
Jeune Afrique