Dans une interview accordée à Afrika Stratégies France, l’archevêque de Daka, Mgr Benjamin Ndiaye la mythique discrétion, revient sur l’engagement politique de l’Eglise, le cas du Sénégal et explique pourquoi une certaine distance est nécessaire entre les pouvoirs temporel et spirituel. Une belle interview qui se déroule dans son archevêché sis au Plateau au cœur de la ville de Dakar, à 10 minutes de marche de la présidence. La gestion de Sall, l’implication de l’église dans la politique, sa mission de prélat, la doctrine sociale de l’Église catholique, il n’évite aucune question. Précis, pertinent, direct. Entretien.
Afrika Strategies France : Vous êtes archevêque de Dakar depuis seulement 4 ans et évêque depuis près de deux décennies. Pourquoi l’Eglise au Sénégal reste-t-elle si loin de la politique alors que sur le continent, les épiscopats sont des alerteurs de conscience pour les acteurs politiques?
Benjamin Ndiaye : C’est une appréciation que de dire que l’église est loin de la politique. Je pense quand même que c’est important de faire le distinguo entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Cela peut expliquer une certaine distance de l’église de la chose politique. Mais l’église n’est pas si éloignée que cela si la chose politique concerne précisément le bien et la gestion de la cité. Cela dit, je pense aussi que compte tenu peut-être des conditions de paix que connaît notre pays, nous n’avons pas trop de conflit à arbitrer comme d’autres épiscopats dans d’autres pays.
On note aussi une sous-représentation des catholiques dans l’institution parlementaire. A l’Assemblé Nationale, en 2017, sur les 150 députés, il y avait 3 chrétiens et sur les 60 femmes, une seule chrétienne…
Je pense que la hiérarchie catholique est fondée à marquer une certaine distance par rapport à la chose politique. Mais ce n’est pas le cas du citoyen chrétien sénégalais qui doit s’impliquer dans la vie et la gestion de sa société. De ce point de vue-là, malgré les nombreux appels lancés par les évêques, nos communautés restent encore assez timorées, timides, ne s’engagent pas suffisamment. Je crois que nous avons le complexe de la minorité et peut-être aussi un complexe d’infériorité qui fait qu’on ne s’engage pas alors que nous avons quand même l’évangile qui est une force, nous avons en plus, souvent bénéficié d’une bonne éducation à travers nos écoles.
Monseigneur, le Pape François fasciné par Robert Schuman, a souvent encouragé les catholiques à s’engager dans « la politique propre et positive ». Nous sommes à quelques semaines de la présidentielle et l’église du Sénégal semble bien muette ?
Elle n’est pas si muette que cela. Peut-être qu’elle ne bat pas le tam-tam pour dire : -‘je veux parler’, mais l’église est là, bien active. Nous avons une commission justice et paix par exemple qui se préoccupe beaucoup des conditions pratiques d’une bonne consultation pour les prochaines élections présidentielles. Cela dit, nous invitons aussi les fidèles à s’engager. Nous ne disons pas vous allez vous engager pour untel ou untel, mais ce sur quoi nous insistons c’est le fait de s’engager pour le bien de la cité. Je pense aussi que psychologiquement, le chrétien peut se poser des questions. Et c’est des questions que je me pose aujourd’hui. Mais tous ces prétendants à devenir présidents, il faudrait leur poser la question : – Pourquoi ils veulent être présidents ? Est-ce pour commander ? Est-ce pour avoir des avantages ou est-ce pour servir leur pays ? Parce qu’on a l’impression que c’est l’ambition qui l’emporte sur le désir d’être au service de son pays, de son développement, du bien commun, etc.
L’on comprend que vous incitez les fidèles à entrer dans l’arène. Mais est-ce qu’il y a une limite dans l’engagement politique d’un chrétien notamment catholique ? Si oui, laquelle ou lesquelles ?
Les limites sont des questions morales. Nous avons une morale et il faut que les options politiques que l’on défend soient en adéquation avec notre point de vue moral. Aujourd’hui on parle beaucoup de planification familiale. Nous sommes d’accord pour dire qu’il faut travailler à une maitrise des naissances. Mais nous ne préconisons pas des méthodes artificielles pour cela. Nous préconisons plutôt des méthodes naturelles pour la planification familiale.
A quoi faites-vous référence en parlant de méthodes artificielles ?
Ce sont des méthodes comme la prise de la pilule qui intervient directement dans le processus naturel de transmission de la vie. Or, par une bonne connaissance de la physiologie des personnes, on est mesure de pouvoir maîtriser la fécondité. Donc c’est cela, la position de l’église.
N’est-ce pas l’engagement et l’accession aux postes de décision qui devraient permettre aux catholiques de défendre leur point de vue moral ?
Tout à fait. C’est pour cela que l’abstention n’est pas une bonne chose. Il faut être dans le champ politique, il faut entrer dans l’arène. J’ai eu l’occasion récemment suite au décès de Bruno Diatta (Ndlr : ancien chef de protocole de la présidence) de rappeler que nous avons un double impératif. Le Christ nous dit : – «nous sommes sel de la terre». Le sel se dilue, on ne le voit pas mais on le sent. Mais en même temps, nous sommes lumière du monde et ça se voit, ça éclaire.
La tension monte depuis plusieurs mois par rapport à la présidentielle. Plusieurs candidats sont éliminés dont Karim Wade et Khalifa Sall. Quelle lecture faites-vous de la situation politique du pays ?
Vous savez, nous avons choisi comme thème de l’année dans l’archidiocèse de Dakar «La Vérité». Le christ dit : – «C’est la vérité qui fera de vous les hommes libres» et cette vérité-là, nous ne la créons pas mais nous la recevons de Dieu. C’est Dieu qui a façonné notre conscience, qui nous a donné aussi un sens moral. – Est-ce que je dis, ce que ce je fais en tant qu’acteur politique répond à la morale que j’ai reçue de Dieu ? Voilà la véritable interrogation. Je ne réponds pas à la place des autres, mais je lance cette interpellation : – Agissons selon la vérité qui vient de Dieu ?
Vous vous interrogiez sur les réelles motivations des aspirants au poste de président de la république. Ça veut dire que l’Eglise est déçue de ceux qui ont dirigé le pays jusqu’ici ? En d’autres termes, quel regard jetez-vous sur le mandant finissant du président Macky Sall ?
Je ne me ferai pas ici l’auteur d’une appréciation de ce mandat. Je le laisse aux acteurs politiques et garde la réserve qui doit être la mienne. Cela dit, quand on voit ce à quoi les hommes sont capables d’arriver pour parvenir au pouvoir, vous vous dites quand même qu’il y a un problème. C’est comme si le pouvoir était une fin en soi. Alors que le pouvoir, c’est un service. Je vois simplement dans ce pays quand on nomme quelqu’un ministre, pour nous il est comme au sommet. Or ministre étymologiquement parlant, c’est le serviteur. Donc peut-être notre mental doit changer par rapport à la chose publique parce que nous devons être au service du bien commun, servir et non pas se servir comme aimait dire mon prédécesseur.
Concrètement Monseigneur, l’église est-elle déçue ou satisfaite ?
C’est vrai que nous apprécions des actions qui sont menées aujourd’hui en faveur du peuple en termes de développement populaire. Nous sommes très attentifs quand les services de base deviennent accessibles : l’accès à l’eau, à l’électricité, à une communication facile à travers les routes et les pistes de production. On ne peut pas faire fi de cela. Nous saluons vraiment les actions qui sont menées dans ce sens-là. Je n’ai pas la compétence de dire en terme économique où est ce que nous en sommes. Je n’ai pas les paramètres qu’il faut pour cela. Je le laisse aux spécialistes. Mais ce sur quoi je vais insister est que c’est le peuple qui est souverain et c’est le peuple qui décide. Laissons au peuple le soin de décider qui il veut choisir pour le gouverner. C’est de sa prérogative essentielle.
Vous n’avez pas une appréciation du fonctionnement des instituons de la République ?
J’ai une appréciation globale. Je pense qu’on peut mieux faire. Dans ce pays, on devrait faire preuve davantage de discipline dans tout ce que nous faisons, qu’on n’instrumentalise pas les structures, ni les services publics, ni même la religion. Mais qu’on ait le souci de se mettre au service des autres. C’est toujours le même problème qui revient : la préservation et la promotion du bien commun. C’est cela qui peut assurer un développement de tout le monde. Il faut qu’on se donne les moyens de scrutins transparents, justes pour que vraiment ce qui sort des urnes soit le verdict populaire, ce que le peuple a décidé pour son avenir. Cela me paraît important.
Etre archevêque de Dakar, c’est aussi être près du centre du pouvoir, la capitale, cela implique des obligations politiques particulières ?
Oui, on peut le dire. Il y a certainement des incidences politiques parce qu’à la tête d’une communauté, je me dois aussi de pouvoir préserver les intérêts de cette communauté et de pouvoir me faire l’écho de ses besoins, comme de remercier pour la manière dont ses besoins-là sont pris en compte. Donc je me suis rendu compte du rôle éminemment politique de la fonction d’archevêque parce que vous rencontrez effectivement des hommes d’Etat, les politiciens de tous bords, -parce que j’en reçois beaucoup-, qui viennent me voir, qui exposent leurs programmes, qui s’inquiètent de ceci, qui font l’analyse de cela. Puis à côté de ceux-là, il y a beaucoup de segments de la société civile, des chefs religieux musulmans, des acteurs économiques, des intellectuels, des syndicats… Bref à longueur de journée, il y a des audiences que je fais comme cela qui me permettent ainsi de prendre le pouls et la température de notre pays.
Et comment vivez-vous tout ce décalage entre vos anciennes fonctions dans un petit diocèse et vos fonctions actuelles avec une lourde responsabilité ?
J’ai une grande nostalgie de Kaolack. J’ai beaucoup aimé le cadre de ce diocèse où les chrétiens sont une infime minorité. Ils représentent 1% de la population mais avec des petites communautés très attachantes qui sont bien en harmonie avec les populations locales. Le défi à Dakar, c’est le nombre parce que d’abord les ¾ des chrétiens du Sénégal se trouvent dans l’archidiocèse de Dakar. Donc on a de fortes communautés. Et aujourd’hui ce qui m’interpelle le plus c’est la banlieue dakaroise où nous avons de plus fortes communautés, où nous devons fonder des paroisses, nous n’en avons pas les moyens matériels, nous avons des abris provisoires qui servent de lieu de culte. Parfois il n’y a pas de maisons pour les prêtres, il faut louer quelques choses. Mais c’est une communauté enthousiasmante de ce pont de vue-là.
Prenant en compte ce que vous entendez de la part des fidèles, voire des Sénégalais ordinaires, vous arrive-t-il de dire aux autorités : – «Ecoutez ce que vous êtes sur tel ou tel aspect de la gouvernance, vous n’êtes pas sur la bonne voie, le peuple n’est pas content?»
Oui ! Peut-être pas sous cette forme directement. Mais nous nous efforçons de rendre attentif à des priorités. Ce n’est pas seulement que le peuple n’est pas content. Le peuple peut même être victime de dérives. Je pense que dans ce pays, l’un des plus grands des défis c’est quand même qu’on accepte de cheminer avec une certaine discipline. Chacun veut faire à sa façon et n’entend pas se faire dicter la loi.
Mgr Benjamin Ndiaye l’archidiocèse Métropolitain de Dakar souvent était un siège cardinalice. ?
Ça franchement… Vous me posez une question à laquelle je n’ai pas de réponse. En tout cas, ce n’est pas dans mes préoccupations. Je pense que c’est le pape qui choisit qui il nomme cardinal. Et Quand on est fait cardinal ça veut dire que le pape a confiance en vous pour faire de vous son conseiller. Donc ça c’est vraiment de son libre arbitre. Mais je fais mon travail.
Par Afrika Stratégies France
Afrika Strategies France : Vous êtes archevêque de Dakar depuis seulement 4 ans et évêque depuis près de deux décennies. Pourquoi l’Eglise au Sénégal reste-t-elle si loin de la politique alors que sur le continent, les épiscopats sont des alerteurs de conscience pour les acteurs politiques?
Benjamin Ndiaye : C’est une appréciation que de dire que l’église est loin de la politique. Je pense quand même que c’est important de faire le distinguo entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Cela peut expliquer une certaine distance de l’église de la chose politique. Mais l’église n’est pas si éloignée que cela si la chose politique concerne précisément le bien et la gestion de la cité. Cela dit, je pense aussi que compte tenu peut-être des conditions de paix que connaît notre pays, nous n’avons pas trop de conflit à arbitrer comme d’autres épiscopats dans d’autres pays.
On note aussi une sous-représentation des catholiques dans l’institution parlementaire. A l’Assemblé Nationale, en 2017, sur les 150 députés, il y avait 3 chrétiens et sur les 60 femmes, une seule chrétienne…
Je pense que la hiérarchie catholique est fondée à marquer une certaine distance par rapport à la chose politique. Mais ce n’est pas le cas du citoyen chrétien sénégalais qui doit s’impliquer dans la vie et la gestion de sa société. De ce point de vue-là, malgré les nombreux appels lancés par les évêques, nos communautés restent encore assez timorées, timides, ne s’engagent pas suffisamment. Je crois que nous avons le complexe de la minorité et peut-être aussi un complexe d’infériorité qui fait qu’on ne s’engage pas alors que nous avons quand même l’évangile qui est une force, nous avons en plus, souvent bénéficié d’une bonne éducation à travers nos écoles.
Monseigneur, le Pape François fasciné par Robert Schuman, a souvent encouragé les catholiques à s’engager dans « la politique propre et positive ». Nous sommes à quelques semaines de la présidentielle et l’église du Sénégal semble bien muette ?
Elle n’est pas si muette que cela. Peut-être qu’elle ne bat pas le tam-tam pour dire : -‘je veux parler’, mais l’église est là, bien active. Nous avons une commission justice et paix par exemple qui se préoccupe beaucoup des conditions pratiques d’une bonne consultation pour les prochaines élections présidentielles. Cela dit, nous invitons aussi les fidèles à s’engager. Nous ne disons pas vous allez vous engager pour untel ou untel, mais ce sur quoi nous insistons c’est le fait de s’engager pour le bien de la cité. Je pense aussi que psychologiquement, le chrétien peut se poser des questions. Et c’est des questions que je me pose aujourd’hui. Mais tous ces prétendants à devenir présidents, il faudrait leur poser la question : – Pourquoi ils veulent être présidents ? Est-ce pour commander ? Est-ce pour avoir des avantages ou est-ce pour servir leur pays ? Parce qu’on a l’impression que c’est l’ambition qui l’emporte sur le désir d’être au service de son pays, de son développement, du bien commun, etc.
L’on comprend que vous incitez les fidèles à entrer dans l’arène. Mais est-ce qu’il y a une limite dans l’engagement politique d’un chrétien notamment catholique ? Si oui, laquelle ou lesquelles ?
Les limites sont des questions morales. Nous avons une morale et il faut que les options politiques que l’on défend soient en adéquation avec notre point de vue moral. Aujourd’hui on parle beaucoup de planification familiale. Nous sommes d’accord pour dire qu’il faut travailler à une maitrise des naissances. Mais nous ne préconisons pas des méthodes artificielles pour cela. Nous préconisons plutôt des méthodes naturelles pour la planification familiale.
A quoi faites-vous référence en parlant de méthodes artificielles ?
Ce sont des méthodes comme la prise de la pilule qui intervient directement dans le processus naturel de transmission de la vie. Or, par une bonne connaissance de la physiologie des personnes, on est mesure de pouvoir maîtriser la fécondité. Donc c’est cela, la position de l’église.
N’est-ce pas l’engagement et l’accession aux postes de décision qui devraient permettre aux catholiques de défendre leur point de vue moral ?
Tout à fait. C’est pour cela que l’abstention n’est pas une bonne chose. Il faut être dans le champ politique, il faut entrer dans l’arène. J’ai eu l’occasion récemment suite au décès de Bruno Diatta (Ndlr : ancien chef de protocole de la présidence) de rappeler que nous avons un double impératif. Le Christ nous dit : – «nous sommes sel de la terre». Le sel se dilue, on ne le voit pas mais on le sent. Mais en même temps, nous sommes lumière du monde et ça se voit, ça éclaire.
La tension monte depuis plusieurs mois par rapport à la présidentielle. Plusieurs candidats sont éliminés dont Karim Wade et Khalifa Sall. Quelle lecture faites-vous de la situation politique du pays ?
Vous savez, nous avons choisi comme thème de l’année dans l’archidiocèse de Dakar «La Vérité». Le christ dit : – «C’est la vérité qui fera de vous les hommes libres» et cette vérité-là, nous ne la créons pas mais nous la recevons de Dieu. C’est Dieu qui a façonné notre conscience, qui nous a donné aussi un sens moral. – Est-ce que je dis, ce que ce je fais en tant qu’acteur politique répond à la morale que j’ai reçue de Dieu ? Voilà la véritable interrogation. Je ne réponds pas à la place des autres, mais je lance cette interpellation : – Agissons selon la vérité qui vient de Dieu ?
Vous vous interrogiez sur les réelles motivations des aspirants au poste de président de la république. Ça veut dire que l’Eglise est déçue de ceux qui ont dirigé le pays jusqu’ici ? En d’autres termes, quel regard jetez-vous sur le mandant finissant du président Macky Sall ?
Je ne me ferai pas ici l’auteur d’une appréciation de ce mandat. Je le laisse aux acteurs politiques et garde la réserve qui doit être la mienne. Cela dit, quand on voit ce à quoi les hommes sont capables d’arriver pour parvenir au pouvoir, vous vous dites quand même qu’il y a un problème. C’est comme si le pouvoir était une fin en soi. Alors que le pouvoir, c’est un service. Je vois simplement dans ce pays quand on nomme quelqu’un ministre, pour nous il est comme au sommet. Or ministre étymologiquement parlant, c’est le serviteur. Donc peut-être notre mental doit changer par rapport à la chose publique parce que nous devons être au service du bien commun, servir et non pas se servir comme aimait dire mon prédécesseur.
Concrètement Monseigneur, l’église est-elle déçue ou satisfaite ?
C’est vrai que nous apprécions des actions qui sont menées aujourd’hui en faveur du peuple en termes de développement populaire. Nous sommes très attentifs quand les services de base deviennent accessibles : l’accès à l’eau, à l’électricité, à une communication facile à travers les routes et les pistes de production. On ne peut pas faire fi de cela. Nous saluons vraiment les actions qui sont menées dans ce sens-là. Je n’ai pas la compétence de dire en terme économique où est ce que nous en sommes. Je n’ai pas les paramètres qu’il faut pour cela. Je le laisse aux spécialistes. Mais ce sur quoi je vais insister est que c’est le peuple qui est souverain et c’est le peuple qui décide. Laissons au peuple le soin de décider qui il veut choisir pour le gouverner. C’est de sa prérogative essentielle.
Vous n’avez pas une appréciation du fonctionnement des instituons de la République ?
J’ai une appréciation globale. Je pense qu’on peut mieux faire. Dans ce pays, on devrait faire preuve davantage de discipline dans tout ce que nous faisons, qu’on n’instrumentalise pas les structures, ni les services publics, ni même la religion. Mais qu’on ait le souci de se mettre au service des autres. C’est toujours le même problème qui revient : la préservation et la promotion du bien commun. C’est cela qui peut assurer un développement de tout le monde. Il faut qu’on se donne les moyens de scrutins transparents, justes pour que vraiment ce qui sort des urnes soit le verdict populaire, ce que le peuple a décidé pour son avenir. Cela me paraît important.
Etre archevêque de Dakar, c’est aussi être près du centre du pouvoir, la capitale, cela implique des obligations politiques particulières ?
Oui, on peut le dire. Il y a certainement des incidences politiques parce qu’à la tête d’une communauté, je me dois aussi de pouvoir préserver les intérêts de cette communauté et de pouvoir me faire l’écho de ses besoins, comme de remercier pour la manière dont ses besoins-là sont pris en compte. Donc je me suis rendu compte du rôle éminemment politique de la fonction d’archevêque parce que vous rencontrez effectivement des hommes d’Etat, les politiciens de tous bords, -parce que j’en reçois beaucoup-, qui viennent me voir, qui exposent leurs programmes, qui s’inquiètent de ceci, qui font l’analyse de cela. Puis à côté de ceux-là, il y a beaucoup de segments de la société civile, des chefs religieux musulmans, des acteurs économiques, des intellectuels, des syndicats… Bref à longueur de journée, il y a des audiences que je fais comme cela qui me permettent ainsi de prendre le pouls et la température de notre pays.
Et comment vivez-vous tout ce décalage entre vos anciennes fonctions dans un petit diocèse et vos fonctions actuelles avec une lourde responsabilité ?
J’ai une grande nostalgie de Kaolack. J’ai beaucoup aimé le cadre de ce diocèse où les chrétiens sont une infime minorité. Ils représentent 1% de la population mais avec des petites communautés très attachantes qui sont bien en harmonie avec les populations locales. Le défi à Dakar, c’est le nombre parce que d’abord les ¾ des chrétiens du Sénégal se trouvent dans l’archidiocèse de Dakar. Donc on a de fortes communautés. Et aujourd’hui ce qui m’interpelle le plus c’est la banlieue dakaroise où nous avons de plus fortes communautés, où nous devons fonder des paroisses, nous n’en avons pas les moyens matériels, nous avons des abris provisoires qui servent de lieu de culte. Parfois il n’y a pas de maisons pour les prêtres, il faut louer quelques choses. Mais c’est une communauté enthousiasmante de ce pont de vue-là.
Prenant en compte ce que vous entendez de la part des fidèles, voire des Sénégalais ordinaires, vous arrive-t-il de dire aux autorités : – «Ecoutez ce que vous êtes sur tel ou tel aspect de la gouvernance, vous n’êtes pas sur la bonne voie, le peuple n’est pas content?»
Oui ! Peut-être pas sous cette forme directement. Mais nous nous efforçons de rendre attentif à des priorités. Ce n’est pas seulement que le peuple n’est pas content. Le peuple peut même être victime de dérives. Je pense que dans ce pays, l’un des plus grands des défis c’est quand même qu’on accepte de cheminer avec une certaine discipline. Chacun veut faire à sa façon et n’entend pas se faire dicter la loi.
Mgr Benjamin Ndiaye l’archidiocèse Métropolitain de Dakar souvent était un siège cardinalice. ?
Ça franchement… Vous me posez une question à laquelle je n’ai pas de réponse. En tout cas, ce n’est pas dans mes préoccupations. Je pense que c’est le pape qui choisit qui il nomme cardinal. Et Quand on est fait cardinal ça veut dire que le pape a confiance en vous pour faire de vous son conseiller. Donc ça c’est vraiment de son libre arbitre. Mais je fais mon travail.
Par Afrika Stratégies France