Depuis dix ans, le rappeur à succès de "Victime de la mode" avait disparu des radars. Où était-il passé ? "L'Obs" le révèle : Claude MC vient de reprendre le chemin des studios.
MC Solaar ou le mystère d'une disparition. Où est passé le rappeur de "Bouge de là" ? On se renseigne partout, sur internet comme dans la vie réelle, en questionnant les gens du milieu de la musique. En retour,on a droit à des sarcasmes cordiaux sur notre infinie candeur : "Mais tout le monde le cherche !" Aucun disque depuis dix ans.
Le 18 juin 2007, il sortait "Chapitre 7", un septième album d'inspiration new-yorkaise, plein d'énergie, bourré de trouvailles : il y abordait la nostalgie, le complotisme, la violence. Ce qui lui valut un double disque d'or et une Victoire dans la catégorie album de musiques urbaines. Il maintenait le cap, rien n'indiquait un quelconque projet de fuite, la moindre prise de recul. S'ensuivit pourtant une décennie entière d'ombre et de mutisme.
MC Solaar en 1992. (Xavier Romeder pour "l'OBS")
Porté disparu MC Solaar, d'autant que ses quatre premiers albums ne sont plus réédités, totalement introuvables à la suite d'un conflit juridique très compliqué avec le label Polydor. Ils sont quelques-uns à le chercher, nous avons fini par le trouver. Le 1er mars dernier, MC Solaar, né à Dakar il y a quarante-huit ans, a répondu présent à notre invitation. La rencontre a lieu dans l'arrière-salle d'un salon de thé en plein Paris,où il aurait ses habitudes. Il est donc là, totalement disponible, d'une sérénité enviable :
"C'est dans ma nature d'être calme. Si je vois qu'un verre va tomber, par exemple, je ne me précipite pas. Je le laisse tomber."
Fidèle à sa réputation de rappeur intello, pour justifier ou du moins expliquer sa longue absence de la scène française, il convoque Paul Lafargue, le penseur de sa jeunesse : à l'adolescence, ses pas d'infatigable promeneur l'avaient mené du côté de Nation ou de République – il ne sait plus trop ; dans les bacs dédiés aux livres d'occasion d'une librairie libertaire, il était tombé sur un ouvrage tout mince, pas cher, au titre irrésistible. Il n'avait pas résisté.
Claude M'Barali ne se faisait pas encore appeler MC Solaar qu'il s'imprégnait déjà du "Droit à la paresse", ce best-seller de Lafargue, essayiste socialiste et gendre de Karl Marx. Un ouvrage qui chante les louanges de l'oisiveté, "mère des arts et des nobles vertus, […] le baume des angoisses humaines ".
"Une lecture qui a laissé en moi quelques traces, j'y ai appris à prendre mon temps."
Cet essai de 1880 avait déjà inspiré une chanson à Georges Moustaki, qui rêvait, comme Lafargue, d'"une vie qu'on prend par la taille/ sans avoir à la gagner comme une bataille". Il a aussi suggéré quelques textes à Solaar dont "Temps mort", un rap de 1994 : "Pause, faut que je me repose, temps mort!"
Pourtant, le "temps mort" qui s'étire sur ces dix dernières années ressemble assez à un accident de parcours.
"J'avais plus ou moins prévu de m'arrêter deux ans, mais j'ai été pris dans cette routine qui consiste à ne pas faire grand-chose, sinon à aller voir des potes en studio, visiter des expositions, accompagner mes deux enfants à l'école."
Ce n'est pas la première fois que Solaar marque une pause dans sa carrière. Une certaine presse, celle qui ferait mieux de se mêler de ses fesses, s'est intéressée à son mariage en 2003 avec une richissime héritière. L'année d'après, le rappeur voit naître son premier enfant et entend se régaler du spectacle qu'offre cet être miniature qui balbutie, qui change tous les jours : "Quand j'étais jeune, j'entendais souvent à la télévision des chanteurs évoquer leur vie sur les routes, en gala, en tournée. Ils regrettaient de ne pas avoir été suffisamment proches de leurs enfants, d'être passés à côté. Il était hors de question pour moi de commettre cette erreur." Mais après 2007, on le perd vraiment.
Des voyages incognito
Qu'a-t-il fait de toutes ces semaines, ces mois, ces années ? Comment occuper son temps quand, dans la force de l'âge, on glisse de 38 à 48 ans ? Voilà bien un moment, dans la vie d'un homme, où il paraît prématuré, surprenant, extravagant, d'envisager la retraite. Le chanteur de "Carpe Diem" raconte ses voyages incognito.
"J'ai fait ce que j'aime faire : lire, apprendre, voyager. Si j'entends parler d'une ville que je ne connais pas en Belgique, au Portugal, en Suisse alémanique ou ailleurs, je réserve un billet de train ou d'avion, je me rase la tête et je mets un costume pour ne pas être reconnu.
Sur place, j'aime engager la conversation dans des lieux où des gens se croisent. Je suis de l'école péripatéticienne : la marche facilite la réflexion. Il faut prendre du recul, tranquille."
Comment ça, tranquille ? Clamer que le monde change, est en proie à une mutation rapide et radicale, est devenu le tube de notre temps. Cela n'a pu échapper à un rappeur dont l'une des vocations est de pointer les travers d'une époque et les incohérences ou erreurs de ceux qui la font dans les hautes sphères. Dix ans = deux quinquennats. MC Solaar, qui se dit surinformé et hyperconcerné, a tout observé sans éprouver le besoin de s'exprimer, sans qu'aucune loi votée, aucune décision, aucune affaire sulfureuse, aucune guerre lui inspire la moindre punchline.
C'est avec une distance certaine qu'il parle aujourd'hui d'une mondialisation concrétisée :
"Internet a toujours été synonyme de mondialisation. Le grand changement, à mon sens, c'est la conscience que nous avons des événements mondiaux via internet. Aujourd'hui comme hier, la violence est partout présente, sauf qu'à l'heure des réseaux sociaux on ne peut plus l'ignorer."
Il a assisté comme chacun de nous à la série d'attentats qui ont frappé Paris en 2015, mais sans sortir de sa réserve monacale : "Je ne voulais pas lire les articles, je n'ai pas allumé la télévision à ce moment-là. Je n'étais pas en capacité de regarder ce genre d'images. J'ai juste pris connaissance des faits, du nombre de victimes, tout en me préservant des détails." Il y a donc des gens qui ne se sont pas plantés devant BFMTV du soir au matin ? Un ermite, on vous dit.
Ça ne l'a pas empêché de constater que les médias enfonçaient le clou sur les dangers du repli communautaire tout en restant sceptique sur la réalité de ce repli :
"Je préfère me fier à ce qu'on me raconte. Je prends la température en appelant un ami instituteur à Marseille, je discute avec un Comorien, un juif, un catholique. Ce sondage personnel vaut ce qu'il vaut, mais il me permet de relativiser. "
"Ma mission a été une réussite"
Malgré son absence, MC Solaar n'est pas tombé dans l'oubli. Ses milliers de fans, qui guettent son vrai retour, ont dû se contenter de quelques apparitions utiles mais anecdotiques dans le spectacle des Enfoirés, la grand-messe télévisée des Restos du Cœur, à laquelle il participe depuis 1997. Sous la direction artistique de Jean-Jacques Goldman, il y a chanté ce qu'on lui demandait de chanter, comme "Moi… Lolita", le tube d'Alizée, en trio avec Zazie et Elsa. Il a aussi chanté "Face à la mer", de Calogero, en duo avec Passi, ex-Ministère A.M.E.R. et autre pionnier du rap français.
Les adeptes d'un rap façon MC Solaar, distingué, lettré, fait de sentiments et d'engagement, ont forcément préféré la mise en ligne sauvage et inespérée d'un inédit. Début mars dernier, sans consulter l'auteur, Jimmy Jay, le producteur de ses deux premiers albums, a offert à ses "amis" sur Facebook "Sentinel nord", un morceau passé à la trappe au moment de finaliser "Prose combat", l'album où se trouvaient "Obsolète" et "Nouveau Western".
Vingt-trois années se sont écoulées depuis. Jay ne s'attendait pas à recevoir en retour autant de chaleur, une telle pluie de messages de sympathie. L'interminable absence de Solaar a créé le manque, c'est palpable. Mesurable aussi à la durée et à l'intensité des applaudissements quand, ce 21 mars, il crée la surprise en montant sur la scène du Bataclan pendant un concert de Vianney.
Ensemble, ils remettent au présent le tube qui fit connaître le rappeur, "Caroline", dont le jeune public connaît au moins ce refrain de 1991 : "Je suis l'as de trèfle qui pique ton cœur." Ces mots font partie de la bande-son de toute une génération. La première guerre du Golfe venait de finir, Gorbatchev avait reçu le prix Nobel de la paix un an auparavant et Mandela savourait sa liberté. Tonton était le président de tous les Français. Nostalgie.
Si ce désir brûlant d'entendre de nouveau claquer le verbe de Solaar s'étend au-delà de la planète rap, c'est que lui-même a tout de suite su qu'il n'y resterait pas confiné. Ainsi fut-il le premier à démocratiser son art. Le rap n'est-il pas par essence une musique urbaine, celle de la rue ? Sans doute, mais il n'est pas uniquement la musique inaudible d'une certaine jeunesse, celle que l'on regarde souvent de travers et que l'on stigmatise.
D'emblée, Claude MC a su mettre des formes, de la poésie, du recul, de l'humour. Ses premiers succès s'intitulent "Caroline", "Bouge de là" ou "Victime de la mode", tous extraits de l'album "Qui sème le vent récolte le tempo". Démontrer que le rap est tout à fait fréquentable, c'est son idée phare, depuis ses débuts :
"A la fac où je suivais des cours d'ethnologie participative, j'avais choisi le rap comme sujet d'étude. Le rap et l'image qu'il véhicule. La plupart des rappeurs parlaient de leur vie, de leurs envies, ils prônaient l'égalité tout en étalant leur richesse.
Quand j'ai commencé à rapper dans la cité, j'avais toutes les données pour lutter contre les stéréotypes et briser ces clichés. Ce fut mon combat pour la respectabilité de cet art.
"'Qui sème le vent récolte le tempo' était bien écrit, j'y abordais des thèmes sociétaux, mais cela ne m'empêchait pas d'avoir des morceaux réactifs ou de verser à mon tour dans l'ego trip. En cela, ma mission a été une réussite totale."
Ce petit truc qui était la poésie
Faire du rap pour tous, c'est éviter la vulgarité dans tous ses excès, l'image largement répandue du lascar à casquette et épaisse chaîne en or, entouré de gros seins au bord d'une piscine. Par exemple. N'empêche que Solaar, le rappeur dit intello, qui aurait vendu son âme à la chanson française, a fait des petits : Soprano, Black M ou Maître Gims, de Sexion d'Assaut, toutes ces nouvelles vedettes qu'il est de bon ton de qualifier de gentils rappeurs, de traiter d'idoles de cours de récré.
"J'ai souvent été raillé parce que j'avais ce petit truc en plus qui était la poésie, dit Solaar, qui a dû en souffrir jadis. Les puristes étaient instrumentalisés pour créer une polémique, pour monter les artistes les uns contre les autres, comme on l'a fait autrefois pour les Beatles et les Stones. Mais quand je rencontrais ces puristes le soir même, je voyais bien qu'ils ne le pensaient pas vraiment, c'étaient mes copains. Il y a une vision unique, dirigiste dans le rap. C'est un milieu où, plutôt que de tenter le renouveau pour se faire une place, on pense nécessaire d'écarter les autres. Moi, je n'ai jamais voulu faire comme les autres, être en concurrence avec quiconque. Les membres de Sexion d'Assaut sont tout simplement victimes de leur succès."
Solaar et Soprano, tel père, tel fils ? Il y a un peu de ça. En 1994, le premier envoie "Nouveau Western", sur des samples de "Bonnie and Clyde" de Gainsbourg, et compare la vie moderne aux bastons sans merci qui accompagnaient la ruée vers l'or. En 2016, le second chante "Le diable ne s'habille plus en Prada", où revient la même vision de la violence d'une époque.
Solaar a fait des émules, qu'il reconnaît volontiers comme ses héritiers : ce Soprano, notamment, dont il "se sent proche en vibrations", dont il loue "l'équilibre visible et les textes de fond sur des envolées festives, positives". Des disciples, il en aura d'autres, vis-à-vis desquels il se pose en grand frère :
"Qu'ils ne gâchent pas les années charnières d'études et de formation, quitte à reporter leurs projets musicaux de deux ou trois ans. Il faut toujours avoir un plan B, la tête bien construite avant de se lancer à l'aveugle dans le rap. Ça peut marcher, mais il faut savoir où on met les pieds."
Lors du concert des Enfoirés 2016, Soprano s'est dit heureux de rejoindre la troupe, signe que la musique urbaine se démocratisait davantage. Il semblait surtout ému d'y retrouver Solaar.
Son absence prolongée du devant de la scène rap a laissé une place folle à de nouvelles voix, il ne peut qu'en convenir. Quand soudain, avec ce flegme affiché depuis le début de la rencontre dans ce salon de thé, il lâche : "Ma bonne résolution pour 2017 est de terminer le disque que je suis en train d'écrire." Scoop. Cette année sera celle de son grand retour. Depuis juillet dernier, le rappeur s'est remis à l'écriture, et il vient de retrouver le chemin du studio d'enregistrement, où il cisèle en secret ses nouveautés. Un titre devrait être envoyé aux radios au cœur de l'été ; l'album, son huitième du genre, sortirait ensuite durant la saison automne-hiver 2017. On sait déjà qu'il sera l'un des événements musicaux de cette fin d'année.
Sophie Delassein
Claude M'Barali, dit MC Solaar, est né en 1969 à Dakar. Il a 6 mois quand sa famille s'installe dans la région parisienne. Dès 1988, alors étudiant, il commence à rapper. Son premier album, "Qui sème le vent récolte le tempo", sort fin 1991 et son septième, "Chapitre 7", en 2007. Il reste, à ce jour, le meilleur vendeur de disques dans sa catégorie.
MC Solaar ou le mystère d'une disparition. Où est passé le rappeur de "Bouge de là" ? On se renseigne partout, sur internet comme dans la vie réelle, en questionnant les gens du milieu de la musique. En retour,on a droit à des sarcasmes cordiaux sur notre infinie candeur : "Mais tout le monde le cherche !" Aucun disque depuis dix ans.
Le 18 juin 2007, il sortait "Chapitre 7", un septième album d'inspiration new-yorkaise, plein d'énergie, bourré de trouvailles : il y abordait la nostalgie, le complotisme, la violence. Ce qui lui valut un double disque d'or et une Victoire dans la catégorie album de musiques urbaines. Il maintenait le cap, rien n'indiquait un quelconque projet de fuite, la moindre prise de recul. S'ensuivit pourtant une décennie entière d'ombre et de mutisme.
MC Solaar en 1992. (Xavier Romeder pour "l'OBS")
Porté disparu MC Solaar, d'autant que ses quatre premiers albums ne sont plus réédités, totalement introuvables à la suite d'un conflit juridique très compliqué avec le label Polydor. Ils sont quelques-uns à le chercher, nous avons fini par le trouver. Le 1er mars dernier, MC Solaar, né à Dakar il y a quarante-huit ans, a répondu présent à notre invitation. La rencontre a lieu dans l'arrière-salle d'un salon de thé en plein Paris,où il aurait ses habitudes. Il est donc là, totalement disponible, d'une sérénité enviable :
"C'est dans ma nature d'être calme. Si je vois qu'un verre va tomber, par exemple, je ne me précipite pas. Je le laisse tomber."
Fidèle à sa réputation de rappeur intello, pour justifier ou du moins expliquer sa longue absence de la scène française, il convoque Paul Lafargue, le penseur de sa jeunesse : à l'adolescence, ses pas d'infatigable promeneur l'avaient mené du côté de Nation ou de République – il ne sait plus trop ; dans les bacs dédiés aux livres d'occasion d'une librairie libertaire, il était tombé sur un ouvrage tout mince, pas cher, au titre irrésistible. Il n'avait pas résisté.
Claude M'Barali ne se faisait pas encore appeler MC Solaar qu'il s'imprégnait déjà du "Droit à la paresse", ce best-seller de Lafargue, essayiste socialiste et gendre de Karl Marx. Un ouvrage qui chante les louanges de l'oisiveté, "mère des arts et des nobles vertus, […] le baume des angoisses humaines ".
"Une lecture qui a laissé en moi quelques traces, j'y ai appris à prendre mon temps."
Cet essai de 1880 avait déjà inspiré une chanson à Georges Moustaki, qui rêvait, comme Lafargue, d'"une vie qu'on prend par la taille/ sans avoir à la gagner comme une bataille". Il a aussi suggéré quelques textes à Solaar dont "Temps mort", un rap de 1994 : "Pause, faut que je me repose, temps mort!"
Pourtant, le "temps mort" qui s'étire sur ces dix dernières années ressemble assez à un accident de parcours.
"J'avais plus ou moins prévu de m'arrêter deux ans, mais j'ai été pris dans cette routine qui consiste à ne pas faire grand-chose, sinon à aller voir des potes en studio, visiter des expositions, accompagner mes deux enfants à l'école."
Ce n'est pas la première fois que Solaar marque une pause dans sa carrière. Une certaine presse, celle qui ferait mieux de se mêler de ses fesses, s'est intéressée à son mariage en 2003 avec une richissime héritière. L'année d'après, le rappeur voit naître son premier enfant et entend se régaler du spectacle qu'offre cet être miniature qui balbutie, qui change tous les jours : "Quand j'étais jeune, j'entendais souvent à la télévision des chanteurs évoquer leur vie sur les routes, en gala, en tournée. Ils regrettaient de ne pas avoir été suffisamment proches de leurs enfants, d'être passés à côté. Il était hors de question pour moi de commettre cette erreur." Mais après 2007, on le perd vraiment.
Des voyages incognito
Qu'a-t-il fait de toutes ces semaines, ces mois, ces années ? Comment occuper son temps quand, dans la force de l'âge, on glisse de 38 à 48 ans ? Voilà bien un moment, dans la vie d'un homme, où il paraît prématuré, surprenant, extravagant, d'envisager la retraite. Le chanteur de "Carpe Diem" raconte ses voyages incognito.
"J'ai fait ce que j'aime faire : lire, apprendre, voyager. Si j'entends parler d'une ville que je ne connais pas en Belgique, au Portugal, en Suisse alémanique ou ailleurs, je réserve un billet de train ou d'avion, je me rase la tête et je mets un costume pour ne pas être reconnu.
Sur place, j'aime engager la conversation dans des lieux où des gens se croisent. Je suis de l'école péripatéticienne : la marche facilite la réflexion. Il faut prendre du recul, tranquille."
Comment ça, tranquille ? Clamer que le monde change, est en proie à une mutation rapide et radicale, est devenu le tube de notre temps. Cela n'a pu échapper à un rappeur dont l'une des vocations est de pointer les travers d'une époque et les incohérences ou erreurs de ceux qui la font dans les hautes sphères. Dix ans = deux quinquennats. MC Solaar, qui se dit surinformé et hyperconcerné, a tout observé sans éprouver le besoin de s'exprimer, sans qu'aucune loi votée, aucune décision, aucune affaire sulfureuse, aucune guerre lui inspire la moindre punchline.
C'est avec une distance certaine qu'il parle aujourd'hui d'une mondialisation concrétisée :
"Internet a toujours été synonyme de mondialisation. Le grand changement, à mon sens, c'est la conscience que nous avons des événements mondiaux via internet. Aujourd'hui comme hier, la violence est partout présente, sauf qu'à l'heure des réseaux sociaux on ne peut plus l'ignorer."
Il a assisté comme chacun de nous à la série d'attentats qui ont frappé Paris en 2015, mais sans sortir de sa réserve monacale : "Je ne voulais pas lire les articles, je n'ai pas allumé la télévision à ce moment-là. Je n'étais pas en capacité de regarder ce genre d'images. J'ai juste pris connaissance des faits, du nombre de victimes, tout en me préservant des détails." Il y a donc des gens qui ne se sont pas plantés devant BFMTV du soir au matin ? Un ermite, on vous dit.
Ça ne l'a pas empêché de constater que les médias enfonçaient le clou sur les dangers du repli communautaire tout en restant sceptique sur la réalité de ce repli :
"Je préfère me fier à ce qu'on me raconte. Je prends la température en appelant un ami instituteur à Marseille, je discute avec un Comorien, un juif, un catholique. Ce sondage personnel vaut ce qu'il vaut, mais il me permet de relativiser. "
"Ma mission a été une réussite"
Malgré son absence, MC Solaar n'est pas tombé dans l'oubli. Ses milliers de fans, qui guettent son vrai retour, ont dû se contenter de quelques apparitions utiles mais anecdotiques dans le spectacle des Enfoirés, la grand-messe télévisée des Restos du Cœur, à laquelle il participe depuis 1997. Sous la direction artistique de Jean-Jacques Goldman, il y a chanté ce qu'on lui demandait de chanter, comme "Moi… Lolita", le tube d'Alizée, en trio avec Zazie et Elsa. Il a aussi chanté "Face à la mer", de Calogero, en duo avec Passi, ex-Ministère A.M.E.R. et autre pionnier du rap français.
Les adeptes d'un rap façon MC Solaar, distingué, lettré, fait de sentiments et d'engagement, ont forcément préféré la mise en ligne sauvage et inespérée d'un inédit. Début mars dernier, sans consulter l'auteur, Jimmy Jay, le producteur de ses deux premiers albums, a offert à ses "amis" sur Facebook "Sentinel nord", un morceau passé à la trappe au moment de finaliser "Prose combat", l'album où se trouvaient "Obsolète" et "Nouveau Western".
Vingt-trois années se sont écoulées depuis. Jay ne s'attendait pas à recevoir en retour autant de chaleur, une telle pluie de messages de sympathie. L'interminable absence de Solaar a créé le manque, c'est palpable. Mesurable aussi à la durée et à l'intensité des applaudissements quand, ce 21 mars, il crée la surprise en montant sur la scène du Bataclan pendant un concert de Vianney.
Ensemble, ils remettent au présent le tube qui fit connaître le rappeur, "Caroline", dont le jeune public connaît au moins ce refrain de 1991 : "Je suis l'as de trèfle qui pique ton cœur." Ces mots font partie de la bande-son de toute une génération. La première guerre du Golfe venait de finir, Gorbatchev avait reçu le prix Nobel de la paix un an auparavant et Mandela savourait sa liberté. Tonton était le président de tous les Français. Nostalgie.
Si ce désir brûlant d'entendre de nouveau claquer le verbe de Solaar s'étend au-delà de la planète rap, c'est que lui-même a tout de suite su qu'il n'y resterait pas confiné. Ainsi fut-il le premier à démocratiser son art. Le rap n'est-il pas par essence une musique urbaine, celle de la rue ? Sans doute, mais il n'est pas uniquement la musique inaudible d'une certaine jeunesse, celle que l'on regarde souvent de travers et que l'on stigmatise.
D'emblée, Claude MC a su mettre des formes, de la poésie, du recul, de l'humour. Ses premiers succès s'intitulent "Caroline", "Bouge de là" ou "Victime de la mode", tous extraits de l'album "Qui sème le vent récolte le tempo". Démontrer que le rap est tout à fait fréquentable, c'est son idée phare, depuis ses débuts :
"A la fac où je suivais des cours d'ethnologie participative, j'avais choisi le rap comme sujet d'étude. Le rap et l'image qu'il véhicule. La plupart des rappeurs parlaient de leur vie, de leurs envies, ils prônaient l'égalité tout en étalant leur richesse.
Quand j'ai commencé à rapper dans la cité, j'avais toutes les données pour lutter contre les stéréotypes et briser ces clichés. Ce fut mon combat pour la respectabilité de cet art.
"'Qui sème le vent récolte le tempo' était bien écrit, j'y abordais des thèmes sociétaux, mais cela ne m'empêchait pas d'avoir des morceaux réactifs ou de verser à mon tour dans l'ego trip. En cela, ma mission a été une réussite totale."
Ce petit truc qui était la poésie
Faire du rap pour tous, c'est éviter la vulgarité dans tous ses excès, l'image largement répandue du lascar à casquette et épaisse chaîne en or, entouré de gros seins au bord d'une piscine. Par exemple. N'empêche que Solaar, le rappeur dit intello, qui aurait vendu son âme à la chanson française, a fait des petits : Soprano, Black M ou Maître Gims, de Sexion d'Assaut, toutes ces nouvelles vedettes qu'il est de bon ton de qualifier de gentils rappeurs, de traiter d'idoles de cours de récré.
"J'ai souvent été raillé parce que j'avais ce petit truc en plus qui était la poésie, dit Solaar, qui a dû en souffrir jadis. Les puristes étaient instrumentalisés pour créer une polémique, pour monter les artistes les uns contre les autres, comme on l'a fait autrefois pour les Beatles et les Stones. Mais quand je rencontrais ces puristes le soir même, je voyais bien qu'ils ne le pensaient pas vraiment, c'étaient mes copains. Il y a une vision unique, dirigiste dans le rap. C'est un milieu où, plutôt que de tenter le renouveau pour se faire une place, on pense nécessaire d'écarter les autres. Moi, je n'ai jamais voulu faire comme les autres, être en concurrence avec quiconque. Les membres de Sexion d'Assaut sont tout simplement victimes de leur succès."
Solaar et Soprano, tel père, tel fils ? Il y a un peu de ça. En 1994, le premier envoie "Nouveau Western", sur des samples de "Bonnie and Clyde" de Gainsbourg, et compare la vie moderne aux bastons sans merci qui accompagnaient la ruée vers l'or. En 2016, le second chante "Le diable ne s'habille plus en Prada", où revient la même vision de la violence d'une époque.
Solaar a fait des émules, qu'il reconnaît volontiers comme ses héritiers : ce Soprano, notamment, dont il "se sent proche en vibrations", dont il loue "l'équilibre visible et les textes de fond sur des envolées festives, positives". Des disciples, il en aura d'autres, vis-à-vis desquels il se pose en grand frère :
"Qu'ils ne gâchent pas les années charnières d'études et de formation, quitte à reporter leurs projets musicaux de deux ou trois ans. Il faut toujours avoir un plan B, la tête bien construite avant de se lancer à l'aveugle dans le rap. Ça peut marcher, mais il faut savoir où on met les pieds."
Lors du concert des Enfoirés 2016, Soprano s'est dit heureux de rejoindre la troupe, signe que la musique urbaine se démocratisait davantage. Il semblait surtout ému d'y retrouver Solaar.
Son absence prolongée du devant de la scène rap a laissé une place folle à de nouvelles voix, il ne peut qu'en convenir. Quand soudain, avec ce flegme affiché depuis le début de la rencontre dans ce salon de thé, il lâche : "Ma bonne résolution pour 2017 est de terminer le disque que je suis en train d'écrire." Scoop. Cette année sera celle de son grand retour. Depuis juillet dernier, le rappeur s'est remis à l'écriture, et il vient de retrouver le chemin du studio d'enregistrement, où il cisèle en secret ses nouveautés. Un titre devrait être envoyé aux radios au cœur de l'été ; l'album, son huitième du genre, sortirait ensuite durant la saison automne-hiver 2017. On sait déjà qu'il sera l'un des événements musicaux de cette fin d'année.
Sophie Delassein
Claude M'Barali, dit MC Solaar, est né en 1969 à Dakar. Il a 6 mois quand sa famille s'installe dans la région parisienne. Dès 1988, alors étudiant, il commence à rapper. Son premier album, "Qui sème le vent récolte le tempo", sort fin 1991 et son septième, "Chapitre 7", en 2007. Il reste, à ce jour, le meilleur vendeur de disques dans sa catégorie.