Patricia Sennequier, voix solaire et énergie contagieuse, fait évoluer les organisations et dirigeants du Sénégal. Depuis 2010, elle dirige Beautiful Soul, un « accélérateur de transformation » qu’elle a relocalisé à Dakar en 2013. Derrière cette femme optimiste se cache un leader au parcours d’exception (MSTCF de Paris-Dauphine, MBA de l’INSEAD, PWC, Oracle, ONU), qui compte bien faire de son pays, l’un des premiers au monde en termes de qualité de vie. La méthode de management qu’elle insuffle aux dirigeants a déjà fait des émules.
D’où vous vient ce penchant pour l’entrepreneuriat ?
De mes grands-mères, qui ont toutes créé des associations et des entreprises. A 12 ans déjà, je créais déjà la mienne. Mon beau-père possédait une bibliothèque qui fascinait plusieurs aînés du quartier. J’ai eu un déclic : en faire un business, en laisant payer le livres à la location (rires) ! J’ai toujours eu cette passion de créer, un besoin de me réinventer et de repousser mes limites.
Vous avez énormément voyagé durant votre parcours. Qu’avez-vous rapporté au Sénégal de ces différentes expériences ?
J’ai passé 23 ans à l’étranger (France, Irlande, Royaume-Uni, Suisse et Dubaï) tout en revenant régulièrement à Dakar. Lorsqu’on va à la découverte des autres, on se découvre soi-même. Je suis rentrée au Sénégal forte de cette conviction que l’on est tous pareils. On souhaite tous être heureux, on veut s’accomplir, personnellement et professionnellement. Et au Sénégal, il y a un besoin d’œuvrer pour une qualité de vie pour tous. Je suis revenue avec une expertise, des stratégies et des outils pour activer le meilleur des individus et des organisations.
Parlez-nous de vos premières expériences, celles qui ont nourri votre désir d’entreprendre et d’innover ?
A Paris, je suis restée sept ans chez Oracle, une entreprise américaine éminemment entrepreneuriale. J’ai fini par occuper le poste de responsable des ventes pour l’Afrique de l’Ouest et centrale. Puis, je suis devenue « intrapreneure » en 1996-1997 en développant l’ensemble du service télévente et marketing dédié au continent : 25% du chiffre d’Oracle Afrique.
Au sein de la CCI (Chambre de Commerce et de l’Industrie), l’un de mes rôles principaux a été d’aligner toute l’organisation afin d’améliorer l’efficacité de notre travail sur le terrain.
Enfin, mes rencontres avec des entrepreneurs et des professeurs comme Allan Schwartz (Mozambique, Ashoka), Ken Roth (Human Right Watch), Olivier Basso (CNAM), Chan Kim et Renée Mauborgne (INSEAD), m’ont énormément inspirée.
Ces expériences constituent les prémices de Beautiful Soul…
Oui, j’ai intégré des organisations qui opéraient à chaque fois de gros changements. En 1991, j’ai travaillé aux éditions « Autrement », à l’époque en pleine crise du secteur. Trois en plus tard, Oracle passait du secteur de l’édition de bases de données à celui de logiciels. Quand j’ai rejoint les Nations Unies, l’organisation était en plein questionnement quant à son efficacité. Au moment de lancer Beautiful Soul, j’étais alors nourrie de toutes ces expériences.
« L’innovation vient de cette capacité à observer et à lâcher prise pour faire différemment ».
Comment parvient-on à ne pas se laisser dépasser par le changement justement ?
En l’acceptant avec confiance. Le changement fait partie de l’ADN de tous nos systèmes. Il est aussi porteur d’opportunités.
Il faut savoir développer notre capacité à lâcher prise pour accueillir l’inconnu et découvrir de nouvelles forces, personnelles et collectives. Je fais régulièrement une chose « insensée » pour développer cette capacité, comme un saut en parachute sans instructeur, ou démissionner d’un poste permanent à l’ONU, suivre un stage de comédie musicale entourée de jeunes de 30 ans de moins que moi, etc.
L’innovation vient aussi de cette capacité à observer les autres, à lâcher prise, à laisser de la place au vide et au faire différemment. Chez Beautiful Soul, on se laisse cet espace-là. En été, nous prenons deux à trois semaines pour évaluer notre travail, prendre du recul. On s’inscrit ainsi dans un processus d’amélioration continue.
Comment intégrer cette culture du « bien-être » dans l’entreprise, à l’heure où la pression de la productivité et de la rentabilité se fait sentir ?
Aujourd’hui, nous savons mesurer la contribution positive du bien-être sur la productivité d’une organisation. Demandez à un individu de vous décrire le moment où il aura été le plus performant, il se sera senti heureux dans un environnement de travail motivant. Bien-être et performance durable sont complémentaires.
Au Sénégal, l’enjeu est d’atteindre une performance exceptionnelle dans tous les pans de l’économie. Pour cela, nous devons amener les individus, équipes et organisations à réaliser qu’ils peuvent véritablement exceller, sans complaisance. Une culture managériale de proximité qui tire toute l’organisation vers le haut en alliant bienveillance et exigence est primordiale.
Comment cette vision du leadership positif se concrétise-t-elle sur le terrain?
La recherche académique en développement organisationnel positif (POS) définit le leader positif comme capable de créer un environnement fait de sens, de relations constructives, d’objectifs et de systèmes motivants. Cet environnement permet aux équipes de générer des performances exceptionnelles.
C’est en découvrant les résultats hors du commun de nombreuses organisations utilisant les stratégies et outils du PSO que j’ai réalisé l’utilité de l’adapter pour le Sénégal.
Nous officions auprès d’organisations de secteurs et de tailles différents, qui comptent de 40 personnes à plusieurs milliers : banques, industries, cabinets de conseil, bailleurs de fonds, gouvernements, organisations internationales. Nous construisons avec leurs dirigeants des programmes sur mesure d’accompagnement au changement allant de 3 à 9 mois. Ces programmes mêlent enquêtes, entretiens, coaching, facilitation de discussions difficiles, formation au management, rituels de prise de recul, etc. L’accompagnement se fait du dirigeant aux équipes en passant par le comité de direction et le management de proximité pour un alignement optimal. Il exige des prises de recul et des remises en question en profondeur.
Avez-vous une visibilité sur l’impact de Beautiful Soul ?
A ce jour, nous avons accompagné plus de 400 leaders-managers et leurs équipes, soit près de 1800 personnes. Des évaluations sont aussi effectuées au fil des programmes par notre équipe ou par des organismes indépendants. A titre d’exemple, les Nations Unies réalisent des enquêtes de satisfaction à l’échelle mondiale. Après notre intervention, une de leurs agences au Sénégal a enregistré un taux d’engagement de leurs employés de 97%.
En proposant de mettre l’humain au cœur des méthodes de leadership, vous soulevez le problème contemporain du mal-être en entreprise. Le « burn-out », une réalité en Afrique ?
C’est un sujet complexe pour lequel nous ne disposons pas de statistiques. Cela étant, nous en rencontrons et ne sommes pas compétents pour les accompagner.
Je crois cependant que chaque individu a une « response-abilité » quant à son bien-être et qu’il est possible, en faisant preuve d’auto-compassion, de trouver des solutions au burn-out.
Quel rôle avez-vous envie de jouer en tant que femme leader ? Avez-vous le sentiment d’être un modèle pour celles qui souhaitent faire bouger le pays vers l’innovation ?
Je désire mettre en valeur les femmes afin qu’elles inspirent le monde. Au sein de Beautiful Soul, des programmes leur sont spécifiquement destinés. Nous les accompagnons afin qu’elles s’exposent et osent inspirer.
« Il faut dire aux femmes de ne pas avoir peur de briller et de faire la différence »
Je suis une femme, avec un mari et un enfant que j’adore, avec des liens sociaux solides. Je m’amuse avec Beautiful Soul, je gagne ma vie honnêtement. Je travaille beaucoup et je parviens à m’occuper de ma famille. Il est tout à fait possible de concilier vie professionnelle et vie privée.
Il faut dire aux femmes, surtout dans nos sociétés où le collectif est très important, de ne pas avoir peur de briller. Je ne crains pas d’affirmer que je suis heureuse aujourd’hui. Demain amènera des changements plus ou moins épanouissants que j’intègrerai du mieux que je peux.
Quels conseils donneriez-vous aux femmes pour qu’elles osent prendre la parole et s’exposer ?
Je peux simplement partager mon expérience. Il m’arrive d’avoir peur du regard de l’autre que j’imagine critique. En même temps, je sais que c’est en pratiquant que l’excellence vient. Il faut y aller progressivement.
Avez-vous une mère spirituelle, une femme qui vous inspire?
Ma famille est ma principale inspiration : ma mère, ma grand-mère et mon grand-père. Ils m’ont transmis cet amour de l’excellence dans le travail. Et cette idée du bonheur que l’on trouve en étant utile à l’autre.