Président 2019: Ousmane Sonko, la nouvelle tête de gondole de l’opposition

Vendredi 27 Avril 2018

L’homme se distingue de plus en plus comme l’un des leaders politiques les plus crédibles. Eloquent, pertinent et déterminé, le chef de file des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) serait même, selon certains analystes, la nouvelle tête de gondole de l’opposition.




L’anecdote fouaille de la queue et crédite la cote d’un cheval gai le matin. D’un pur sang de l’Ecole sénégalaise baptisé Ousmane Sonko, cheval gagnant du Pastef, grand outsider de la prochaine course politique la plus attendue et la plus disputée du Sénégal : la Présidentielle ! «Si nous étions au PMU, j’allais forcément le jouer», explique un politologue à l’âme de parieur. Proche de l’ex-inspecteur des impôts, l’analyste n’a pas voulu trop s’épancher sur le nouveau phénomène de l’arène politique sénégalaise.


Ce garçon de 43 ans, échappé de la capitale du Rail, que le Sénégal des réseaux sociaux décrit, à tort ou à raison, comme la nouvelle tête de gondole de l’opposition. Mais qui est vraiment Ousmane Sonko ? Comment ce monsieur à la dégaine de salaf’, au phrasé mandé et au regard fixe, est parvenu à dribbler toute la classe politique, jusqu’à se poser comme l’un des opposants les plus crédibles du régime de Macky Sall ? Quel a été le chemin qui a mené ce petit chenapan du Sud, qui a grandi entre Ziguinchor et Bignona, dans ce monde de fauves où les erreurs se paient cash et les coups se distribuent sans foi ni loi ?

L’arroseur arrosé

Comme un extraterestre, Sonko a déboulé de l’autre monde, avec une mission : faire payer au régime Sall ses fautes. Ses errements et manquements. Pour ce faire, l’inspecteur des Impôts et domaines n’a besoin que de peu de chose : du courage. Et il en a à revendre. L’homme n’est pas à se dégonfler, il ne connaît même pas la baudruche. La première bombe à déflagration politique est larguée sur le Macky en 2016. Juste à quelques mois de la Présidentielle, avant que le chef de l’Etat, Macky Sall, ne se rebiffe et demande au Peuple à faire ses 7 ans.


Le coup est dur. Presque insupportable pour l’Hémicycle et sa majorité aux commandes. L’info sur le non-reversement des impôts par l’Assemblée nationale tient en haleine le pays. Elle crée un véritable tollé, avec des démentis par-ci et des précisions par-là. Mais Sonko campe sur sa position. Pis, l’Inspecteur des impôts rajoute de nouveaux composants explosifs à ses révélations. Il dénonce plusieurs anomalies fiscales ou budgétaires dans le fonctionnement de l’Etat, notamment l’opacité des conditions d’attribution des contrats d’exploitation du gaz et du pétrole sénégalais. Le frère du chef de l’Etat, Aliou Sall, à l’époque, Directeur général de Petrotim Sénégal, est sa cible favorite. Le pouvoir l’a dans sa ligne de mire. Dans un premier temps, démis de ses fonctions d’Inspecteur des impôts, suite à une procédure disciplinaire enclenchée par le ministère de l’Economie, des finances et du plan et exécutée par la Direction des Impôts et domaines, Ousmane Sonko finira par être congédié de la Fonction publique.


Sur proposition du Conseil de discipline de la Fonction publique et par décret n°22016-1239 du 29 août 2016, il est révoqué pour manquement à l’obligation de discrétion professionnelle. Un acte qui ne le surprend guère. «Je ne suis pas surpris. (…) Tout ce que j’ai dit est basé sur des informations publiques, tirées de documents officiels, et non sur des éléments glanés dans l’exercice de ma profession d’inspecteur des impôts. Ils veulent juste museler et asservir les hauts fonctionnaires», réagit-il.

Nullement décontenancé, le désormais ex-Inspecteur principal des impôts poursuit sa lancée combattante. Il multiplie les déclarations sur les «scandales qui jalonnent la gestion du Président Macky Sall». Et pour prouver davantage sa détermination au peuple, son seul baromètre, Ousmane Sonko se présente aux élections législatives du 30 juillet 2017, avec la coalition «Ndawi Askanwi». Pour une première participation à des élections, le leader du Pastef décroche une place à l’Assemblée nationale. Sonko est élu député et fera de la scène du crime perpétré contre sa personne, la tribune idéale pour ses diatribes contre le pouvoir. Il ne s’en prive pas. C’est à cœur joie que le leader du Pastef balance les «saletés» de la République sur la majorité. Ce fut le cas avec la sortie de son livre intitulé ‘’Pétrole et gaz au Sénégal, chronique d’une spoliation’’ dans lequel, il accuse la famille présidentielle d’avoir violé le Code pétrolier et la Constitution.

Du syndicalisme à la politique

Ousmane Sonko est de la caste des  hoplites. Ces guerriers qui subissent depuis leur enfance, une éducation qui doit les préparer au combat. Il en a grandi avec l’âme d’un justicier. Il a la revendication chevillée au corps. La preuve, Sonko est l’initiateur du Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (Saaid), le premier à la Dgid. Une initiative fortement contestée à l’époque, par ses supérieurs, mais cela ne l’empêchera pas d’aller de l’avant et de dérouler. Mais plus il avance, plus Sonko voit grand. Pour trouver un cadre à même de contenir ses immenses ambitions, il va créer les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) en 2014. Un parti politique de l’opposition radicale. «Le triste spectacle qu’offrait et qu’offre encore l’élite politique, la même depuis plus de quarante ans, nous interdisait de rejoindre l’un de ces parti dits ‘’grands’’ et que nous confondons tous dans la même médiocrité qui nous a valu tout ce retard», se désolait-il.


Aujourd’hui, Ousmane Sonko est plus que jamais engagé dans la bataille politique, avec l’objectif de chasser Macky Sall du pouvoir. Il dit : «Je considère que les six ans du Président Sall à la tête du pays ont été six ans de déception, de trahison par rapport aux engagements pris, par rapport au non-respect de la parole donnée, aux orientations socioéconomiques, particulièrement économiques, à la gouvernance qui est plutôt sombre et vicieuse et non pas contrairement sobre et vertueuse.» Sa candidature à la Présidentielle déclarée, Sonko est aujourd’hui dans toutes les batailles de l’opposition. Mais jamais dans le rôle de figurant. Récemment à l’Assemblée nationale, lors du vote du projet de loi sur le parrainage, il a failli en venir aux mains avec ses collègues de la majorité. Pendant quelques minutes, il a ôté sa veste, prêt à encaisser des coups. Une image qui témoigne de la détermination de l’homme à en découdre avec le pouvoir en place.


Sans aucune concession. Me Madické Niang : «C’est un homme engagé. C’est quelqu’un qui ne veut rien laisser à l’adversaire. Il s’engage toujours totalement dans toutes les batailles. Je constate aussi qu’Ousmane Sonko est un patriote, quelqu’un qui aime beaucoup son pays, il le démontre chaque fois que des questions concernent le pays. C’est difficile de voir quelqu’un qui a eu un parcours de fonctionnaire, avoir une telle indépendance d’esprit, mais surtout prendre autant de risques, quand il était toujours au service de l’Etat. Quand il est devenu député, il continue à le faire. C’est un fouineur. Il aime fouiner, chercher, pas toujours des cafards, mais rechercher la vérité. Pour cela, il prend beaucoup de risques. J’apprécie beaucoup la collaboration qu’est la nôtre au niveau de l’Assemblée, mais surtout sur le terrain politique.»


Le président du Groupe parlementaire Liberté et démocratie ajoute, peu avare en compliments : «Il fait montre d’une certaine intransigeance, mais dans les discussions que nous avons toujours, soit au sein de nos deux groupes, soit au sein de nos organisations politiques, on voit qu’il est toujours prêt à défendre ses idées, mais aussi à accepter les idées des autres. C’est un garçon intelligent avec qui j’aime travailler. C’est un homme très ouvert et très souple. Nous nous complétons mutuellement.»

«Une personnalité osée de l’opposition»

En quelques mois, l’homme est devenu un atout de taille pour l’opposition. «Si l’opposition veut s’en sortir, si elle veut vraiment reconquérir le pouvoir, il va falloir miser sur des personnalités comme Ousmane Sonko, indique le Pr Moussa Diaw, Dr en Sciences politiques. Il a beaucoup d’atouts. Politiquement, il n’est pas marqué par des systèmes, il est jeune et il y a une cohérence dans sa démarche et dans son discours, qui rompt complètement avec celui des autres qui sont du système. En plus, de par son attitude et son comportement, la logique qui guide son action dans l’opposition, il apparaît comme une nouvelle figure politique, une nouvelle génération de leaders politiques avec de nouvelles pratiques et une nouvelle conception de la politique.» Un avis partagé par son collègue député, Cheikh Bamba Dièye. «Son discours parle à la jeunesse, aux Sénégalais. On ne peut absolument pas lui faire le reproche qu’on fait souvent aux acteurs politiques, pour avoir été dans toutes les sauces, c’est lié au fait qu’il vient d’arriver. C’est une nature propre chez lui, il est constant dans sa démarche, il est constant dans le fait de dénoncer tout ce qui n’est pas acceptable, qui ne doit pas s’expliquer dans une démocratie. Il a une position qui parle aux Sénégalais.»


Dans le même sens, Pr Diaw signale : «Chez Ousmane Sonko, il y a la personnalité d’abord. Il n’a pas intériorisé le comportement des leaders qui étaient dans le système. Cela fait de lui une personnalité osée de l’opposition. Il est jeune et très attentif par rapport aux demandes sociales.»

«Un phénomène nouveau»

La percée fulgurante d’Ousmane Sonko sur la scène politique n’a en effet d’égal que sa maîtrise des sujets liés à l’économie et à la fiscalité, particulièrement lorsqu’il s’agit de fustiger les mauvaises pratiques du Gouvernement de Macky Sall. En un temps record, le nouveau venu a su s’imposer dans le monde politique et pourrait avoir des chances de réussite, selon Pr Diaw. «Bien qu’il n’ait pas beaucoup d’expérience, il va apparaître, aux yeux de l’opinion, comme quelqu’un en qui on peut avoir confiance, explique-t-il. Il a une autre façon de penser la politique. Son discours rompt avec les polémiques qu’on connaît généralement dans le paysage politique sénégalais.»


Ce qui fait que beaucoup de jeunes s’identifient au discours de Sonko et pourraient le soutenir, s’il se lance dans la course pour la Présidentielle. «C’est un phénomène nouveau pour la nouvelle génération, avec de nouvelles demandes, un nouveau regard, de nouvelles ambitions, souligne le Dr en Sciences politiques. Son discours est compris par les jeunes, les autres ont des discours très idéologiques et très aériens qui ne collent pas à la demande sociale, aux problèmes des jeunes, surtout à leurs ambitions par rapport à la rationalisation dans la gestion des richesses.» Il rappelle que l’ancien Inspecteur des impôts est à l’origine de toute la problématique autour des découvertes de pétrole et de gaz. Le leader du Fsd/Bj abonde dans le même sens. «Il a une position qui parle aux Sénégalais, selon Cheikh Bamba Dièye. Il faut reconnaître que ce type de discours, ce type d’engagement, ce type de sérieux et de constance font la différence. C’est pourquoi, il a, pour quelqu’un qui vient d’arriver, cette classe prépondérante dans l’opposition.»

Même s’il se positionne comme un outsider, Ousmane Sonko bénéficie d’atouts non négligeables et d’un certain charisme. «Ce ne sont pas seulement ses discours qui attirent, fait savoir Bamba Dièye. Plus que cela, il a eu à subir la tyrannie du pouvoir en place et il a été dans des postures où ceux qui y sont d’habitude sont habitués aux comportements plus ou moins conciliants, ou plus ou moins à s’arranger avec l’ordre établi. Il a montré qu’il était fait d’un autre bois. Dans des conditions ou certains s’écraseraient, lui, il a résisté et fait montre d’une certaine ténacité, qui a fait la différence.» Et pour le Pr Diaw, un certain nombre de facteurs contribuent aujourd’hui à placer Sonko en bonne position au niveau de l’opposition, et il pourrait incarner une nouvelle génération de leaders. A l’opposé des épiphénomènes qui ont traversé l’espace politique comme des comètes.
 L'Observateur 
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