Regard sur le drame à Keur Niang, Touba (Par Al Hassane Niang)

Mardi 17 Septembre 2024

Le 16 septembre 2024, la ville de Touba, et plus précisément le quartier de Keur Niang, a été touchée par des inondations dévastatrices causant d'importants dégâts matériels et perturbant la vie quotidienne des habitants. Cette nouvelle catastrophe met en évidence l'urgence de traiter le problème des inondations au Sénégal, un phénomène devenu récurrent, exacerbé par le changement climatique et l'urbanisation rapide. Elle soulève également une problématique latente depuis plusieurs décennies, représentant non seulement un désastre environnemental mais aussi un échec tragique des systèmes de gouvernance, de planification urbaine et de résilience communautaire dans le pays. Voici un retour sur les causes profondes, les impacts sociétaux et les enjeux structurels sous-jacents qui rendent les inondations un problème récurrent dans la région du Baol et à travers le Sénégal.

 1. Causes structurelles des inondations

Urbanisation anarchique
La première cause à aborder est l'urbanisation incontrôlée de Touba. Au fil des décennies, la ville a connu une croissance démographique spectaculaire, mais les infrastructures sociales, notamment celles de drainage, n'ont pas suivi cette expansion. La construction de logements, souvent sans planification adéquate, a entravé le bon écoulement des eaux. Keur Niang, initialement prévu pour des habitations modestes, a vu naître des structures inadaptées à la gestion des eaux pluviales. Ce quartier, comme beaucoup d'autres dans le pays, est ainsi caractérisé par un drainage insuffisant, aggravant les effets des pluies torrentielles. Les infrastructures locales, souvent inadaptées aux besoins croissants de la population, n'ont pas pu contenir les flots, entraînant la montée des eaux dans les maisons et les rues.

Changements climatiques 
Comme dans plusieurs régions du monde, le changement climatique tend à intensifier les événements météorologiques extrêmes au Sénégal, rendant les inondations plus fréquentes et plus difficiles à anticiper. Les modèles de pluie ont changé, avec des épisodes pluvieux plus intenses sur des périodes plus courtes. Malgré le Plan Décennal de Lutte contre les Inondations (PDLI) (2012-2022), les politiques d'adaptation aux risques climatiques restent insuffisantes et souvent mal financées.

2. Impact sur la population

Dégâts matériels et psychologiques
Les conséquences matérielles des inondations ont été dévastatrices, et le drame en cours à Keur Niang nous le rappelle douloureusement. De nombreux foyers ont perdu tout leur contenu, entraînant des pertes économiques et affectant le bien-être déjà précaire des familles locales. Si de nombreux habitants ont été contraints de fuir leurs foyers pour échapper aux ravages des eaux, ils subissent également les conséquences sanitaires et psychologiques de ce drame. L'eau stagnante, favorable à la propagation de maladies d'origine hydrique, met en danger la santé des populations vulnérables, qui vivent dans la peur de nouvelles inondations et l'incertitude quant à leur avenir et à la cohésion sociale.

Disparités socio-économiques  
Les inondations touchent disproportionnellement les populations vulnérables. Les personnes vivant dans des quartiers précaires, souvent sans accès aux services publics nécessaires pour faire face à ce type de catastrophe, sont généralement les plus affectées. Ce cycle de vulnérabilité renforce les inégalités sociales et économiques, rendant la lutte contre la pauvreté au Sénégal encore plus difficile.

 

3. Insuffisances des réponses institutionnelles

Absence de coordination
Une analyse de la gestion des inondations révèle l'absence de coordination entre les différents niveaux de gouvernement face à cette crise. Celle-ci nécessite une approche globale impliquant des ministères tels que l'Urbanisme, l’Environnement et la Santé. Cependant, des lacunes en matière de communication et de collaboration entraînent souvent une fragmentation des efforts de réponse des pouvoirs publics.

Plans d'action lacunaires
Bien que des plans d'action aient été proposés dans le passé pour gérer les inondations, leur mise en œuvre est souvent lente et inefficace. Plusieurs projets d’infrastructure ont été freinés par des budgets insuffisants, des contradictions bureaucratiques et un manque d’implication des communautés locales. En effet, la participation citoyenne dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces plans reste limitée, réduisant ainsi leur efficacité.

4. Perspectives pour l'avenir

Nécessité d'une action au niveau national 
Les inondations du 16 septembre 2024 soulignent l'urgence d'une réponse coordonnée au niveau national. Le Sénégal, malgré ses défis économiques et sociaux, doit investir dans des infrastructures de drainage modernes et efficaces. Cela inclut la revégétalisation des zones urbaines, la réhabilitation des canaux d'évacuation des eaux pluviales et la mise en place de systèmes de surveillance des intempéries.

Il est également crucial d’envisager une planification urbaine intégrée prenant en compte les risques d'inondation. La création d’espaces verts, la régulation de la construction dans les zones inondables et la sensibilisation des populations aux risques d'inondation doivent devenir des priorités. Les collectivités locales, en collaboration avec le gouvernement central, doivent être mobilisées pour élaborer des plans d’action concrets et durables.

Enfin, il est essentiel d’adopter une approche systémique pour aborder les inondations à Keur Niang et au-delà. Cela impliquera :

L’amélioration des infrastructures : Investir massivement dans des infrastructures de drainage modernes et durables, intégrant des solutions basées sur la nature comme les zones humides urbaines.

La planification urbaine durable : Établir des zones de protection contre les inondations et éviter la construction dans les zones vulnérables. La régulation stricte des zones à risque doit être mise en œuvre à travers le pays, en utilisant la cartographie réalisée dans le cadre du Plan Décennal.

Le renforcement de la résilience communautaire : Promouvoir des programmes de sensibilisation à la gestion des risques tout en impliquant les communautés dans les décisions les concernant.

Conclusion

Les inondations de Keur Niang ne sont pas simplement un événement climatique, mais le symptôme d'un échec systémique de nos politiques publiques. Loin d’être un phénomène isolé, elles constituent un appel à l'action face à un enjeu de sécurité nationale. L'urgence de la situation appelle à des interventions immédiates mais aussi à une réflexion critique sur les politiques, les pratiques de gouvernance et l'engagement communautaire. Cette approche doit transcender les interventions ponctuelles pour adopter une perspective systémique et durable à l'échelle nationale. Pour éviter la répétition de tels désastres, une volonté politique forte et une mobilisation de toutes les parties prenantes sont indispensables. C’est par une action collective et intégrée que le Sénégal pourra construire un avenir plus résilient face aux aléas climatiques et empêcher que les désastres naturels ne deviennent la norme. Il est donc crucial de renverser la tendance en prenant des mesures proactives pour protéger les populations et leurs biens.
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