Début octobre, une délégation militaire soudanaise s’est rendue discrètement en Israël. Pendant deux jours, les officiers – parmi lesquels le lieutenant-général Mirghani Idris Suleiman, qui dirige les systèmes de l’industrie de défense de l’État – se sont entretenus avec leurs homologues israéliens. Une visite qui a fait polémique, car au Soudan, comme dans d’autres pays du continent, le rapprochement et la normalisation des relations avec l’État hébreu font débat.
Si Israël a ouvert sa première représentation diplomatique en Afrique en 1957, au Ghana, ses relations avec le continent se sont surtout développées ces dix dernières années sous l’impulsion de son ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou (2009-2020). Sa politique africaine a toutefois oscillé entre volontarisme et hésitation. « S’il est incontestable que le dirigeant israélien a obtenu d’importants succès au regard de la reconnaissance de l’État hébreu par la quasi-totalité des pays africains, il n’est pourtant pas encore parvenu à donner du contenu à la relation avec le continent. Il n’a pas souhaité donner les moyens financiers à son appareil diplomatique pour peser davantage, ne permettant pas à ses gains politiques de se muer en influence continentale », estime le chercheur Benjamin Augé dans un rapport de l’Institut français des relations internationales (Ifri) publié en novembre 2020.
Face sombre
Derrière tout ça, au-delà des relations d’État à État, il existe une face un peu plus sombre, d’Abidjan à Yaoundé, à laquelle JA a choisi de s’intéresser. Une diplomatie parallèle faite d’hommes d’affaires, de consultants en tous genres et d’entreprises présents de longue date sur le continent et qui servent indirectement les intérêts de leur mère patrie. Ils s’appellent Eran Moas, Gaby Peretz, Didier Sabag, Orland Barak, Hubert Haddad, Eran Romano ou encore Igal Cohen, arpentent les palais présidentiels et ont comme domaines de prédilection le renseignement, les écoutes, la cybersécurité, l’armement, servant de porte d’entrée aux entreprises de leur pays.
Ces dernières dominent depuis plusieurs années le marché des écoutes et de la surveillance électronique en Afrique subsaharienne. Les plus connues sont NSO, fondée par Shalev Hulio qui fabrique le célèbre logiciel espion Pegasus, et Verint. On peut citer également Mer Group (Congo, Guinée, Nigeria, RD Congo, où elle équipe l’Agence nationale de renseignement), ou encore Elbit Systems (Afrique du Sud, Angola, Éthiopie, Nigeria…).
Ces sociétés ont comme atout principal leur lien étroit avec l’armée et les services de renseignement. Nombre d’entre elles sont constituées d’anciens de l’Unité 8200 de Tsahal (spécialisée dans la cyber-guerre). C’est par exemple le cas Shabtaï Shavit, patron d’Athena GS3, une filiale de Mer Group, qui dirigea le Mossad de 1989 à 1996. Il connaît particulièrement bien le continent pour avoir favorisé les relations de ses services avec le Zaïre de Mobutu Sese Seko, puis avec le Cameroun. Verint est, de son côté, dirigée par l’ancien officier de l’armée israélienne Dan Bodner.
Sollicité par les États eux-mêmes
« Certains groupes ou personnalités se sont d’abord implantés en Afrique pour y développer les projets liés à l’agriculture, avant de se diversifier dans la sécurité parce qu’ils étaient sollicités par les États eux-mêmes », explique un familier du secteur de la cybersécurité sur le continent.
IL Y A BEAUCOUP DE FANTASMES
Si les liens entre ces structures et les services de renseignement sont réels, certaines structures n’hésitent pas à survendre cette proximité. « Il y a beaucoup de fantasmes autour de cela. C’est vrai que la plupart des développeurs de ces systèmes sont des anciens des 8200. Au-delà de ça, l’État israélien n’a pas forcément de liens directs avec eux et utilise du matériel encore plus moderne. Il arrive même que ces boîtes marchent sur les pieds du Mossad, qui n’a pas besoin d’eux pour savoir ce qu’il se passe dans ces pays », nuance un homme d’affaires israélien actif en Afrique.
Et, à l’inverse, certaines entreprises évitent carrément de mettre en avant tout lien avec Israël pour tenter de pénétrer des marchés où les gouvernements n’ont pas normalisé leurs relations diplomatiques avec l’État Hébreu.
C’est par exemple le cas de cette entreprise présente au salon Milipol, fin octobre à Paris, ayant récemment vendu un système de localisation de téléphones au Nigeria. Elle battait pavillon canadien, assemble ses systèmes au Bangladesh, mais est pilotée depuis Tel-Aviv. En 2018, elle avait approché les services de renseignement d’un pays du Maghreb, qui a coupé court à toute discussion après avoir découvert l’origine de la société.
Si Israël a ouvert sa première représentation diplomatique en Afrique en 1957, au Ghana, ses relations avec le continent se sont surtout développées ces dix dernières années sous l’impulsion de son ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou (2009-2020). Sa politique africaine a toutefois oscillé entre volontarisme et hésitation. « S’il est incontestable que le dirigeant israélien a obtenu d’importants succès au regard de la reconnaissance de l’État hébreu par la quasi-totalité des pays africains, il n’est pourtant pas encore parvenu à donner du contenu à la relation avec le continent. Il n’a pas souhaité donner les moyens financiers à son appareil diplomatique pour peser davantage, ne permettant pas à ses gains politiques de se muer en influence continentale », estime le chercheur Benjamin Augé dans un rapport de l’Institut français des relations internationales (Ifri) publié en novembre 2020.
Face sombre
Derrière tout ça, au-delà des relations d’État à État, il existe une face un peu plus sombre, d’Abidjan à Yaoundé, à laquelle JA a choisi de s’intéresser. Une diplomatie parallèle faite d’hommes d’affaires, de consultants en tous genres et d’entreprises présents de longue date sur le continent et qui servent indirectement les intérêts de leur mère patrie. Ils s’appellent Eran Moas, Gaby Peretz, Didier Sabag, Orland Barak, Hubert Haddad, Eran Romano ou encore Igal Cohen, arpentent les palais présidentiels et ont comme domaines de prédilection le renseignement, les écoutes, la cybersécurité, l’armement, servant de porte d’entrée aux entreprises de leur pays.
Ces dernières dominent depuis plusieurs années le marché des écoutes et de la surveillance électronique en Afrique subsaharienne. Les plus connues sont NSO, fondée par Shalev Hulio qui fabrique le célèbre logiciel espion Pegasus, et Verint. On peut citer également Mer Group (Congo, Guinée, Nigeria, RD Congo, où elle équipe l’Agence nationale de renseignement), ou encore Elbit Systems (Afrique du Sud, Angola, Éthiopie, Nigeria…).
Ces sociétés ont comme atout principal leur lien étroit avec l’armée et les services de renseignement. Nombre d’entre elles sont constituées d’anciens de l’Unité 8200 de Tsahal (spécialisée dans la cyber-guerre). C’est par exemple le cas Shabtaï Shavit, patron d’Athena GS3, une filiale de Mer Group, qui dirigea le Mossad de 1989 à 1996. Il connaît particulièrement bien le continent pour avoir favorisé les relations de ses services avec le Zaïre de Mobutu Sese Seko, puis avec le Cameroun. Verint est, de son côté, dirigée par l’ancien officier de l’armée israélienne Dan Bodner.
Sollicité par les États eux-mêmes
« Certains groupes ou personnalités se sont d’abord implantés en Afrique pour y développer les projets liés à l’agriculture, avant de se diversifier dans la sécurité parce qu’ils étaient sollicités par les États eux-mêmes », explique un familier du secteur de la cybersécurité sur le continent.
IL Y A BEAUCOUP DE FANTASMES
Si les liens entre ces structures et les services de renseignement sont réels, certaines structures n’hésitent pas à survendre cette proximité. « Il y a beaucoup de fantasmes autour de cela. C’est vrai que la plupart des développeurs de ces systèmes sont des anciens des 8200. Au-delà de ça, l’État israélien n’a pas forcément de liens directs avec eux et utilise du matériel encore plus moderne. Il arrive même que ces boîtes marchent sur les pieds du Mossad, qui n’a pas besoin d’eux pour savoir ce qu’il se passe dans ces pays », nuance un homme d’affaires israélien actif en Afrique.
Et, à l’inverse, certaines entreprises évitent carrément de mettre en avant tout lien avec Israël pour tenter de pénétrer des marchés où les gouvernements n’ont pas normalisé leurs relations diplomatiques avec l’État Hébreu.
C’est par exemple le cas de cette entreprise présente au salon Milipol, fin octobre à Paris, ayant récemment vendu un système de localisation de téléphones au Nigeria. Elle battait pavillon canadien, assemble ses systèmes au Bangladesh, mais est pilotée depuis Tel-Aviv. En 2018, elle avait approché les services de renseignement d’un pays du Maghreb, qui a coupé court à toute discussion après avoir découvert l’origine de la société.