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Entretien avec Adama Barrow, beaucoup d'attaques et peu de réponses

Lundi 29 Janvier 2018

Un an après son arrivée au pouvoir, Adama Barrow a reçu la presse internationale. Occasion de passer en revue beaucoup de sujets qui touchent à la politique intérieure de la Gambie. Sur la question particulière de son mandat qu’il avait promis de ramener à 3 ans, Barrow pense, dans un fou rire, qu’il pourrait faire comme…Macky. Autrement dit, emprunter la voie référendaire.

 Un an depuis que vous êtes à la tête de l’Etat gambien. Peut-on dire que la Gambie respire mieux ?

Adama BARROW : Permettez-moi d’abord de remercier le Groupe Wal Fadjri. Le fait que vous soyez déplacés jusqu’en Gambie, montre à quel point vous accordez de l’intérêt à ce qui se passe chez nous. Cela prouve que vous n’êtes pas indifférents à la situation que nous vivons depuis la chute de l’ex-président de la République de Gambie, Yahya Jammeh. Tenez-vous bien, nous avons trouvé les caisses de l’Etat quasi vides. Celles-ci ne pouvaient, à peine, qu’assurer le paiement des salaires des fonctionnaires juste pour un mois. Nous avions, aussitôt, compris qu’il nous serait difficile de travailler. C’est ainsi que nous avons pris l’option de nous serrer la ceinture et de travailler très dur avec l’accompagnement de nos partenaires au développement, des différents bailleurs et des institutions bancaires pour améliorer les difficiles conditions de vie de nos compatriotes. Cela nous a permis d’obtenir des aides assez conséquentes et de développer, aussi, nos banques locales. Aujourd’hui, la situation s’améliore, nous avons, dans nos caisses, de l’argent pouvant payer quatre mois de salaire. A ce niveau, nous pouvons dire qu’il n’y a aucune inquiétude. Cet exploit que nous avons réalisé nous a permis d’avoir le satisfécit des institutions financières étrangères. Cela a valu à notre gouvernement d’avoir été choisi, cette année, comme celui ayant le plus réussi à réorganiser sa situation économique.

Lorsque nous sommes venus au pouvoir, nous n’avions pas mesuré l’ampleur des dégâts. Il arrivait au peuple gambien de rester toute une journée sans avoir de l’électricité. Ce qui, d’ailleurs, finit par tuer  l’économie gambienne. Vous savez que quand il n’y a pas d’électricité, le manque à gagner est élevé. Avec ces coupures, le secteur informel était presque à genoux. Et pour mettre fin à cette situation, nous nous en sommes ouverts aux autorités sénégalaises. Et à l’heure actuelle, nous avons pu obtenir, au niveau de Farafégné du côté sénégalais, de l’électricité en quantité. Nous avons signé avec l’Etat du Sénégal un contrat de trois ans pour l’octroi d’énergie. Et j’avoue que, depuis, nous avons moins de problèmes, même si c’est vrai que, très souvent, il y a des couacs qui sont notés. Au terme de ce contrat, nous allons nous retrouver avec la partie sénégalaise pour voir ensemble ce qu’il y aura lieu de faire.

Avez-vous les nouvelles de Yaya Jammeh ?

Tout ce que je sais à ce jour de cette personne, c’est qu’elle est en Guinée équatoriale. La seule fois que j’ai eu de ses nouvelles, c’est quand il m’a écrit une lettre.

Et quel était le contenu de cette lettre ?

Dans cette lettre, il me demandait de lui garder ses champs qu’il a laissés au pays. Il me faisait savoir qu’il y avait dans ces champs beaucoup de pères de familles et de jeunes qui y travaillaient et qui y gagnaient leur vie. Il faut que je préserve l’emploi de ces gens-là. Il me disait vraiment qu’il tenait à ce que tous ces gens qui travaillaient dans ces champs-là y restent car ils s’étaient des soutiens de famille. Il m’a aussi sollicité pour que je protège son bétail laissé au pays. Dans ce bétail, il y a beaucoup d’animaux domestiques (des vaches, des moutons, de la volaille, etc.) et d’autres animaux sauvages.

Que lui avez-vous répondu ?

Je n’ai pas répondu à sa lettre.

Pourquoi ?

En tout cas je n’y ai pas répondu.

On sait que la Gambie n’est pas complètement sécurisée avec la présence d’éléments supposés fidèles à votre prédécesseur. N’avez-vous pas de craintes à ce niveau ?

(Il coupe). Pas du tout. Je dois ici vous dire que les Gambiens ne doivent plus avoir peur de quoi que ce soit. Nous avons pris toutes les dispositions sécuritaires pour les protéger. J’ai été élu par les Gambiens, pas par des citoyens d’un autre pays. C’est pourquoi, il est de mon devoir de veiller, avec toute la rigueur requise, à la protection de tous les citoyens de ce pays. (…)

Vos adversaires vous reprochent d’avoir laissé en l’état toutes les lois répressives de Jammeh. Que leur répondez-vous ?

Je suis arrivé au pouvoir avec des lois votées que j’ai trouvées sur place. Et vous savez, moi j’accorde une grande importance au respect des lois. Je ne peux pas venir et aussitôt enlever tout ce que j’ai trouvé sur place. Les choses ne doivent pas se passer comme cela.

Une campagne internationale est en train d’être menée pour traduire Jammeh en justice. Quelle lecture en avez-vous ?

Ceux-là qui demandent la traduction de Jammeh devant les tribunaux sont dans leur droit parce qu’eux ou leurs proches ont eu à beaucoup souffrir du pouvoir dictatorial de ce dernier. Je les comprends et je suis d’avis que justice doit se faire. Cependant, il faudrait laisser la justice faire son travail, en toute liberté. Mais, je tiens à préciser qu’aucun tort fait au peuple gambien ne doit rester impuni. Je veux léguer des institutions transparentes et fortes à mon successeur.

 Récemment, deux généraux de l’armée nationale gambienne qui étaient partis avec Jammeh en Guinée équatoriale sont rentrés en Gambie. Ils auraient été arrêtés le lendemain de leur arrivée ? Confirmez-vous cette information ?

Je confirme. La justice est en train de faire son travail. Ils avaient décidé de fuir avec l’ex-Président en Guinée équatoriale. Ils y sont restés presque un an. Et ils ont décidé de revenir au bercail. Effectivement, ils ont été cueillis chez eux. Au moment où je vous parle, ils sont gardés dans un lieu secret c’est-à-dire qu’ils sont pour le moment en résidence surveillée. Ils seront interrogés sur pas mal de choses, et je pense que, après les enquêtes, la justice sera faite. Ce que je voudrais surtout souligner, c’est qu’on ne peut pas être un des bras droits de Yahya Jammeh pendant presque vingt-deux ans et, au moment où ce dernier quitte son pays, vous décidez de le suivre sans avoir quelque chose à vous reprocher. Ceux-là qui sont restés autant d’années avec lui mais qui n’ont pas daigné fuir leur pays savent certainement qu’ils n’ont rien à se reprocher, je pense. 

Les troupes de la Cedeao sont toujours présentes sur le sol gambien. Peut-on avoir un échéancier de leur retrait ?

Les troupes de la Cedeao sont là depuis que je suis à la tête de ce pays. Personne ne peut nier qu’elles sont d’une importance capitale. N’eut été leur présence, nous n’en serions pas arrivés à la stabilité actuelle de notre pays. Avec la présence de ces forces, j’avoue que la Gambie a retrouvé la paix et le sourire.

Pour répondre directement à votre question, tout ce que je peux vous dire est que, pour le moment, nous n’entendons pas libérer les forces de la Cedeao parce qu’il y va de la stabilité de la Gambie. Le peuple gambien apprécie leur présence sur son sol et souhaite qu’elles restent encore. Quand l’heure de leur départ sonnera, elles quitteront la Gambie. Au contraire ce que nous souhaiterions, c’est que ces troupes soient renforcées, c’est-à-dire nous souhaitons qu’il y ait davantage de forces de la Cedeao pour que, justement, la Gambie puisse retrouver toute sa stabilité au niveau de la sous-région. Et c’est ce que nous sommes en train de vivre depuis que ces forces de la Cedeao sont là.

Vous aviez promis de ne faire qu’un mandat de trois ans. Allez-vous respecter cette promesse ?

C’est vrai que les gens ne cessent de m’interpeller sur cette question. Aujourd’hui, c’est un débat qui occupe les Gambiens. Seulement, il ne faudrait pas que les gens oublient que lorsque je parlais de ces trois ans, je n’étais qu’avec un groupe d’amis, d’individus qui venaient de me proposer d’être leur candidat. Ce que j’avais d’ailleurs accepté. Mais vous savez, en ce temps je n’étais pas encore président de la République. Je n’avais eu qu’un désir que j’avais manifesté pendant ma campagne. Un cas similaire s’était produit chez vous, avec l’actuel président de la République, Macky  Sall, au Sénégal (rires). Je ne ferai rien qui va à l’encontre de ce que prévoit notre Constitution. C’est pourquoi, je vais soumettre cette question relative à la durée de mon mandat au peuple gambien par voie référendaire. Le dernier mot reviendra donc au peuple.

Où en êtes-vous avec la construction du pont qui doit relier la Gambie au Sénégal ?

Ce pont qui est extrêmement important pour les deux Etats est en cours de réalisation. A l’heure où je vous parle, je dois vous dire que les conditions de sa mise en œuvre sont réunies à 40 %. Car les différents sites qui doivent abriter ce pont sont déjà identifiés. Au niveau de ces sites, les topographes et autres techniciens en la matière ont déjà presque fini de faire le travail. Le financement de ce projet est déjà acquis. Nos partenaires et les institutions internationales ont accepté de financer le projet. A ce niveau, nous n’avons aucune inquiétude. Mon homologue, le Président Macky Sall, et moi, faisons tout pour que les travaux démarrent le plus tôt possible. Car les enjeux liés à la construction de ce pont sont énormes pour nos pays respectifs. Il facilitera, entre autres, les échanges économiques au niveau de la sous-région. Ce qui va impacter positivement sur le vécu de nos populations.

Et sur le plan énergétique le Sénégal avait décidé d’accompagner la  Gambie. Où en êtes-vous avec ce projet ?
Propos recueillis par

Abou KANE

(Envoyé spécial à Banjul)
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