Tandis qu’Israël fêtait lundi son 70e anniversaire et le déménagement de l’ambassade américaine, à Gaza, 55 Palestiniens qui manifestaient à la frontière ont été tués.
Les responsables israéliens levaient leur coupe, lundi 14 mai, en dépit des événements dramatiques survenus au même moment dans le territoire palestinien enclavé. Tandis que l’Etat hébreu fêtait le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, des dizaines de milliers de Palestiniens répondaient au rendez-vous fixé depuis six semaines pour protester le long de la clôture. Une heure et demie de route séparait ces deux mondes parallèles.
En famille, en bus, à moto, le plus souvent à pied, les Gazaouis ont afflué pour parachever la « marche du grand retour » entamée le 30 mars et censée se conclure le 15 mai. Une marche pour réclamer les terres perdues au moment de la création d’Israël, il y a 70 ans, mais d’abord la fin du blocus israélo-égyptien qui enserre Gaza. Le bilan de cette journée est le plus grave depuis le début du mouvement : 55 personnes ont été tuées, dont plusieurs mineurs de moins de 16 ans, et plus de 2 400 blessées, selon les autorités locales. Soit plus de 100 morts en six semaines.
Tel est le prix inouï que les Gazaouis étaient prêts à payer pour se maintenir sur la carte des préoccupations mondiales. Ils rêvent de franchir la clôture, d’abolir les murs de leur prison. Plus simplement, ils réclament le droit à ne pas être oubliés, alors qu’Israéliens et Américains, en pleine symbiose, les réduisent à des êtres violents, manipulés par le Hamas.
« Si une génération meurt, une autre la remplacera »
Pour mieux saisir cette attente, il faut s’asseoir dans une maison du camp de Bourej. Au fond d’une ruelle aux murs tagués se trouve l’entrée du domicile de la famille Amar. Le grand-père est arrivé en 1948, au moment de la Nakba, l’exode des Palestiniens lors de la création d’Israël. La maison est construite en parpaings, sans fenêtre. C’est un cloaque plongé dans la pénombre jour et nuit, en dehors des quatre heures quotidiennes d’électricité. Dans le frigo, un bac plein de tomates, un peu de verdure. Au congélateur, des piles de pain pita. C’est tout. Dans la chambre des enfants, pas un jouet. Un grand tableau pour écrire ; deux autocollants sur les murs décatis. On dort sur de minces matelas.
Jaber Amar, 39 ans, vit ici avec ses huit enfants et sa femme Tahir. Son frère Ayman et sa propre famille habitent dans l’aile voisine du bâtiment. Jaber appartient au Hamas, Ayman au Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas. Tous vont aux rassemblements hebdomadaires à la frontière. « Si une génération meurt, une autre la remplacera, dit Jaber. Les Palestiniens se sont toujours sacrifiés, dans la lutte pour leurs droits. »
Les gamins curieux bourdonnent autour de nous. Jana, neuf ans, serre un cahier d’écolière. Elle feuillette les pages : on y voit ses dessins naïfs et colorés, des photos découpées du dôme du Rocher à Jérusalem, des stickers typiques de son âge. Mais les légendes en arabe convoquent une réalité d’adulte. Elles parlent de retour, « un droit comme le soleil ». Son frère Mohammed, 7 ans, exhibe fièrement une grosse clé suspendue à une chaîne rouillée. Celle du grand-père, ouvrant le paradis perdu et fantasmé : la maison familiale jusqu’en 1948.
Chez tous les Gazaouis assez motivés pour manifester, le passé et le présent se confondent, les pleurs des aïeux et leurs propres frustrations forment un seul torrent. « Dire que le Hamas est derrière la marche, c’est de la propagande israélienne, qui leur donne une excuse pour nous tuer », affirme Ayman, un vieux keffieh noué autour du cou.
lemonde.fr
Les responsables israéliens levaient leur coupe, lundi 14 mai, en dépit des événements dramatiques survenus au même moment dans le territoire palestinien enclavé. Tandis que l’Etat hébreu fêtait le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, des dizaines de milliers de Palestiniens répondaient au rendez-vous fixé depuis six semaines pour protester le long de la clôture. Une heure et demie de route séparait ces deux mondes parallèles.
En famille, en bus, à moto, le plus souvent à pied, les Gazaouis ont afflué pour parachever la « marche du grand retour » entamée le 30 mars et censée se conclure le 15 mai. Une marche pour réclamer les terres perdues au moment de la création d’Israël, il y a 70 ans, mais d’abord la fin du blocus israélo-égyptien qui enserre Gaza. Le bilan de cette journée est le plus grave depuis le début du mouvement : 55 personnes ont été tuées, dont plusieurs mineurs de moins de 16 ans, et plus de 2 400 blessées, selon les autorités locales. Soit plus de 100 morts en six semaines.
Tel est le prix inouï que les Gazaouis étaient prêts à payer pour se maintenir sur la carte des préoccupations mondiales. Ils rêvent de franchir la clôture, d’abolir les murs de leur prison. Plus simplement, ils réclament le droit à ne pas être oubliés, alors qu’Israéliens et Américains, en pleine symbiose, les réduisent à des êtres violents, manipulés par le Hamas.
« Si une génération meurt, une autre la remplacera »
Pour mieux saisir cette attente, il faut s’asseoir dans une maison du camp de Bourej. Au fond d’une ruelle aux murs tagués se trouve l’entrée du domicile de la famille Amar. Le grand-père est arrivé en 1948, au moment de la Nakba, l’exode des Palestiniens lors de la création d’Israël. La maison est construite en parpaings, sans fenêtre. C’est un cloaque plongé dans la pénombre jour et nuit, en dehors des quatre heures quotidiennes d’électricité. Dans le frigo, un bac plein de tomates, un peu de verdure. Au congélateur, des piles de pain pita. C’est tout. Dans la chambre des enfants, pas un jouet. Un grand tableau pour écrire ; deux autocollants sur les murs décatis. On dort sur de minces matelas.
Jaber Amar, 39 ans, vit ici avec ses huit enfants et sa femme Tahir. Son frère Ayman et sa propre famille habitent dans l’aile voisine du bâtiment. Jaber appartient au Hamas, Ayman au Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas. Tous vont aux rassemblements hebdomadaires à la frontière. « Si une génération meurt, une autre la remplacera, dit Jaber. Les Palestiniens se sont toujours sacrifiés, dans la lutte pour leurs droits. »
Les gamins curieux bourdonnent autour de nous. Jana, neuf ans, serre un cahier d’écolière. Elle feuillette les pages : on y voit ses dessins naïfs et colorés, des photos découpées du dôme du Rocher à Jérusalem, des stickers typiques de son âge. Mais les légendes en arabe convoquent une réalité d’adulte. Elles parlent de retour, « un droit comme le soleil ». Son frère Mohammed, 7 ans, exhibe fièrement une grosse clé suspendue à une chaîne rouillée. Celle du grand-père, ouvrant le paradis perdu et fantasmé : la maison familiale jusqu’en 1948.
Chez tous les Gazaouis assez motivés pour manifester, le passé et le présent se confondent, les pleurs des aïeux et leurs propres frustrations forment un seul torrent. « Dire que le Hamas est derrière la marche, c’est de la propagande israélienne, qui leur donne une excuse pour nous tuer », affirme Ayman, un vieux keffieh noué autour du cou.
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