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Comment le wax fait croire qu’il est africain et étouffe les vrais tissus du continent

Vendredi 30 Décembre 2016

 
Son empire n’a pas de frontières, son emprise pas de limites. De l’étroit couloir du marché des tissus de Kinshasa aux grands marchés de Dantokpa à Cotonou ou d’Adawlato à Lomé, des échoppes de Château Rouge à Paris aux défilés inspirés par le continent à Paris, Milan ou New York, un parrain tout puissant domine la mode africaine : le wax.
 
Importé par les marchands néerlandais au 19e siècle, l’imprimé sous cire d’origine javanaise a si bien conquis le continent qu’il en a même colonisé les esprits, devenant un symbole revendiqué de l’Afrique, et une part imposée de son identité. Mais sur le continent, dont le développement économique est conditionné à une industrialisation, rares sont les unités de production de wax « made in Africa ». Pas une n’a été créée par la société de textile Vlisco, le véritable « père du wax ». Ses 70 millions de yards de tissus (environ 64 millions de mètres) sont chaque année produits aux Pays-Bas, et écoulés à 90 % en Afrique, pour presque 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Une institution difficile à critiquer et dont les propositions sont impossibles à refuser.
 
Le 15 août dernier, l’entreprise néerlandaise a ainsi fêté ses 170 ans en confiant une collection anniversaire à quelques créateurs africains. Thème imposé : hommage à la femme africaine. Et les créateurs waxophiles tels que Lanre Da Silva Ajayi et Stylista n’ont pas été les seuls sollicités : les stylistes Loza Maleombho et Elie Kuamé, qui lui préfèrent d’ordinaire des tissus traditionnels africains, ont également été embauchés par Vlisco.
Prédominance sur le marché
 
Croisé dans une soirée parisienne, organisée par Nothing But the Wax – un blog dédié à l’imprimé – le créateur libano-ivoirien Elie Kuamé sort son joker de sous son inimitable chapeau akan au moment d’évoquer sa participation à l’opération Vlisco. La robe de mariée confectionnée pour l’occasion trône encore à l’entrée de son atelier, à Bastille. « Je ne fais que des pièces intemporelles, le wax n’est pas un tissu que je traite généralement. J’utilise du coton tissé faso dan fani [pagne burkinabé] dans ma dernière collection, lâche-t-il, las d’être encore interrogé sur le wax. Il y a d’autres tissus mais je suis loin d’être bête ! Je sais qu’il y a une forte demande pour ça… » Une réponse sans entrain et respectueuse des forces en présence.
 
 
Le wax domine, le wax fait vendre, le wax fait Afrique. Inutile de « gratter » la cire d’abondance. Alors on sourit. Les réponses sont plates, les commentaires mesurés. Le ton las et craintif de vexer le « Parrain ». On n’y touche pas. C’est comme ça… On sourit mais on fronce les sourcils aussi. « Ils ne vont pas cracher dans la soupe ! », soupire Ayden, compréhensive. Longtemps présentatrice sur direct 8, la productrice animatrice TV a depuis peu lancé la marque Glam Ethnik. « Le wax se vend et s’exporte très bien. Là où il y a 100 types de tissus wax, il y en a 5 pour le kente, par exemple. Le choix est vite fait… Glam Ethnik est une des seules marques françaises à proposer le kente mais la production en série est une réelle problématique ».
 
 
« Il ya le kente mais aussi le batik, le bogolan malien, l’ewe ou ashanti [Ghana], le kita en Côte d’Ivoire, le faso dan fani, le ndop bamiléké [Cameroun]… Tous ces tissus sont en voie de disparition car les créateurs ne font pas leur travail. On les connaît très peu car tout le monde utilise le wax. Je trouve cela scandaleux. Si on disait que la dentelle de Calais était d’origine camerounaise, je crois que ça énerverait un peu. C’est une question d’identité et de reconnaissance… Le wax n’a jamais été africain, c’est un tissu qui nous a été imposé pendant la colonisation », affirme Imane Ayissi, styliste camerounais qui a toujours lutté contre le monopole du wax avec des collections audacieuses, sans jamais cesser d’alimenter l’identité hautement africaine de sa marque.
 
Grande variété de tissus africains
 
Nelly Wandji, avec sa plateforme Moonlook, préfère encourager le développement de cette grande variété de tissus africains et de techniques insoupçonnées, souvent très complexes. « C’est dommage qu’un tissu d’importation fasse autant d’ombre à d’autres qui sont réellement africains. Avec le questionnement écologique du moment, autant valoriser des textiles alternatifs et développer les nombreux procédés méconnus du continent comme le tissage du coton faso dan fani, plutôt que de mettre en avant un tissu soi-disant africain, vendu aux Africains, qui n’apporte aucune valeur à l’Afrique. »
 
 
Dans cette optique, Moonlook entend donner de la visibilité aux créateurs africains et commercialiser leurs créations en Europe. « Il y a des histoires bien plus belles à raconter que celle du wax hollandais », assure Nelly, preuve à l’appui. Avec la marque ghanéenne Christie Brown et ses créations afro-futuristes, Palm Style et ses escarpins chics en raphia, Zashadu et ses sacs en python, le label Tongoro, Re Bahia, Tsemaye Binitie… Une noria d’artistes dessinent une autre mode africaine. Libérée de la tutelle pesante du wax. Un frémissement de révolte contre l’oppressante domination néerlandaise. Une légère brise, qui n’annonce pas encore de tempête, seulement la possibilité d’un nouveau souffle pour la mode africaine.
Le monde
 
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