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Le cauchemar affreux des enfants de détenus

Jeudi 4 Novembre 2021

L'emprisonnement ou même l'arrestation d'un parent provoque habituellement un séisme. Enfants comme adultes, les proches de détenu(e)s subissent une peine qui ne leur était pas destinée. Des peines qui sont de nature très diverses et qui se manifestent par la tristesse, la colère, l'anxiété, un sentiment d’abandon et de culpabilité. Loin de l’amour parental, ces enfants de détenu(e)s tentent néanmoins de survivre dans un semblant de normalité.    

La douleur est profonde. Elle le ronge jusque dans ses tripes. Le mal l’empêche d’avancer, de s’ouvrir aux autres et d’avoir une existence normale. La vie de Philippe Gomis* a littéralement basculé le jour où sa mère s’est retrouvée derrière les barreaux. Sept années de souffrance et de douleur. Le temps passe, le choc persiste. La détresse de Phillipe Gomis est toujours intacte. Ces souvenirs inaltérés comme au jour de l’arrestation de sa maman par les pandores. Un hoquet à la gorge, les souvenirs affluent dans sa tête torturée par le chagrin. «Le 9 avril 2015, les éléments de la Section de recherche de la Gendarmerie de Colobane sont venus chez nous. Après fouille, ils ont trouvé une quantité importante de chanvre indien. Alors qu’on s’attendait à un autre coupbale, c’est ma mère qui a été alpaguée. Elle a été placée en garde à vue, puis sous mandat de dépôt.»

S’en suit une longue descente aux enfers. Le jour de l’audience, quand le juge a prononcé la sentence, ce fut un véritable coup de massue. Quinze ans d’emprisonnement ferme. «Ma mère était le pilier de ma famille, son départ a été brutal, soudain. Du jour au lendemain, elle n’était plus là. Nous nous sentions comme abandonné, laissé à notre triste sort. Qui va maintenant s’occuper de moi et de ma fratrie ?», s’interroge le bonhomme qui était alors âgé de 24 ans. Orphelin de père, sa mère étant derrière les barreaux, ce fut à Phillipe de porter, sur ces frêles épaules, l’éducation ces deux frères. Esseulé, l’étudiant à l’Ucad a dû arrêter ses cours afin de subvenir aux besoins de sa famille. «A l’Université, je n’arrivais plus à me concentrer, j’ai échoué pratiquement à tous les examens. Donc, j’ai décidé de faire une pause pour m’insérer dans le milieu professionnel afin d’aider ma sœur et mon frère pour qu’il puisse réussir», explique-t-il, les yeux embués de larmes.

Au fil des années, sa dignité en a pris un coup. Tous leurs proches leur ont tourné le dos. Stigmatisés par leur propre famille, Phillipe et ses frères l’ont été. «Notre maison était le lieu de convergence de toute la famille. Elle ne se désemplissait pas. Mais, depuis l’incarcération de ma mère, on ne voit plus personne. Mes frères et moi sommes laissés à notre sort. La situation est très difficile à vivre.» La voix nouée par l’amertume, Phillipe poursuit : «Avoir un de ses parents en prison, ce n’est pas très glorieux. On aura plutôt tendance à cacher cette situation pour éviter les questions, le regard ou le jugement des autres. Dans le quartier, je ne sors presque plus. Et, avec cette tragédie, j’ai du mal à m’ouvrir aux personnes. En plus, je me culpabilise car, à l’époque, je nourrissais le vœu d’aller étudier à l’étranger et je me dis que c’est cela qui a poussé ma mère vers le trafic de drogue.» Et à sa perte. «Au quotidien, l’absence est difficile à vivre : on n’a pas choisi ce départ précipité, il nous a été imposé.»


Fatigué, désespéré, Phillipe compte aujourd’hui les jours qui le séparent à chauqe fois des visites auprès de sa tendre mère. Des visites vécues comme une véritable torture. C’est toujours difficile de nous séparer d’elle. Chaque visite, même si elle constitue un petit réconfort, est également un supplice. Les séparations sont à chaque fois un déchirement.» N’empêche, la foi en bandoulière, Philipe continue de faire face stoïquement et s’adosse au mur de la résignation. Pour l’heure, le jeune homme de 31 ans tente par tous les moyens de s’en sortir. Mais, le vide est toujours là. Béat. Béant. «Avec mes frères, on essaie d’avoir une vie et des activités normales. Mais, psychologiquement, nous souffrons. Les gens te font sentir plus bas que terre.» L’incarcération d’un proche, à plus forte raison un parent, est toujours très mal vécue par leur progéniture. Jetés en pâture, stigmatisés, jugés et humiliés, ils sont les dégâts collatéraux des «erreurs» de leurs géniteurs et comme eux, sont condamnés à vivre dans la prison du regard et du jugement des autres.  


«Ma belle-famille me traitait de fille de dealeuse de drogue»
Sur les gradins désertés devant les grandes portes marron cadenassées de la prison des Femmes de Rufisque, Fatou Faty* cogite. La mine affligée, le regard perdu, elle vient de se séparer de sa mère incarcérée. Impassible aux bruits environnants, la jeune femme de 20 ans a du mal à extérioriser ses sentiments. Sa douleur est indicible, surnoise et la ronge de l’intérieur. Emmitouflée dans une large robe bleue, avec un voile comme pour se cacher du regard des gens, elle replonge difficilement dans ses souvenirs. «Ma mère a été arrêtée et condamnée la veille de mon mariage pour trafic internationale de drogue», lâche-t-elle. Et, bien vrai que les épousailles, décalées un moment, aient eu finalement lieu, la jeune mère vivait un véritable calvaire dans sa belle-famille. «Chaque jour, mes belles-sœurs me lançaient des quolibets. Elles s’étaient liguées contre moi. Elles traitaient ma mère de tous les noms d’oiseaux et moi de fille de dealeuse de drogue. Toutes me rappelaient la situation de ma mère.» La voix étreinte par l’amertume et la douleur, Fatou soupire. Désespérée, elle poursuit. «Emotionnellement, je ne tenais plus. C’était trop pour moi. J’étais triste et je me laissais aller. Je ressentais de la honte et me sentais chaque jour humiliée, car la prison représente le monde de la délinquance et de la criminalité et c’est un univers plutôt déshonorant.» Stigmatisée par sa belle-famille et ne pouvant plus faire face, Fatou a été obligée de fuir. De déménager. De Thiès, la jeune femme déposera ses baluchons à Dakar. Dans un quartier où tout le monde ignore son passé et son histoire, Fatou essaye de se reconstruire. Enfermée elle aussi dans la prison de la honte. «Depuis 10 ans, tout comme ma mère, je vis dans le noir. Elle me manque terriblement. Si cela ne dépendait que de moi, elle serait toujours à mes côtés. Mais, la vie en a décidé autrement. Aujourd’hui, je ne peux que m’en remettre au Tout Puissant. Et, avec l’aide de mon mari, j’essaye de m’en sortir. Mais, au fond de moi, je souffre le martyr», souffle-t-elle. Si Fatou essaie tant bien que mal d’aller de l’avant, Sokhna*, elle, demeure toujours dans la tourmente. Voila maintenant 5 ans que son calvaire dure. «Le jour où le juge a prononcé la sentence de mon père pour trafic de chanvre indien, j’ai crié dans la salle de toutes mes forces. Cette nuit fut la plus longue de ma vie. Je ne suis pas arrivée à fermer l’œil. En pensant à la situation carcérale du pays, j’étais désolée pour mon père. J’étais triste pour lui car, il était agé d’une soixantaine d’années.» Et les visites quotidiennes sont tellement courtes. «Derrière la vitre, on a des problèmes pour s’entendre. On se parle à peine. Mon père tente de tenir le coup depuis lors, mais je vois clairement qu’il est au bord de la rupture. Et, cette image me hante chaque nuit.» Avec le temps, Sokhna s’est finalement ressaisie. Aînée d’une fratrie de 7 enfants, la jeune fille de 19 ans a dû se serrer la ceinture. Orpheline de mère, en l’absence de son père, Sokhna prend désormais en charge toute sa smala. «Depuis l’arrestation de mon père en 2016, j’ai dû quitter les cours pour devenir femme de ménage afin de subvenir aux besoins de mes frères et sœurs», explique-t-elle. Laissée à son propre sort, cette situation est un véritable coup dur pour cette famille qui est aujourd’hui déstabilisée. «Avoir un parent emprisonné est très difficile. Dans le quartier, nous sommes ridiculisés, stigmatisés. Mes frères sont mis à l’écart. Plus personne ne fréquente notre domicile sous prétexte que mon père est un dealer de drogue. Alors que nous, ses enfants, n’avons rien à nous reprocher», confesse-t-elle au bord des larmes.  



 
«Ma mère est morte en prison»
Depuis sa tragédie, Salif* est toujours tendu. Comme un arc. Submergé d’émotions, la mine triste, le jeune homme a du mal à contenir son désarroi. Sa vie est bouleversée. Il faut remonter à Novembre 2020, pour comprendre son trauma. «Ma mère est décédée l’année dernière alors qu’elle était internée au Pavillon spécial au Cap manuel. Je me souviens encore du coup de fil de ma sœur qui m’annonçait la nouvelle tragique. C’était très difficile, car, une mère est très importante pour un enfant. J’étais complètement abattu», lâche le jeune homme de 16 ans. Parler du rappel à Dieu de sa mère le plonge dans les abimes de la solitude.


A l’époque, il avait 15 ans et sa mère venait de tirer une peine de 15 ans de prison, Salif avait l’habitude d’aller lui rendre visite. «C’était de façon spontanée. Tous les vendredis et mardis, j’étais impatient de la voir à la Maison d’arrêt des femmes de Liberté 6. Je lui racontais ma vie et elle était heureuse de voir quel homme j’étais devenu», se rappelle le jeune homme. Mais, au fil des années, la santé de sa mère se détériorait. «Au parloir, elle avait du mal à se tenir debout et à marcher. Elle était complètement métamorphosée. Elle était de teint clair, mais par la suite, elle a complètement noirci et avait des migraines incessantes. Elle vomissait tout le temps, et se plaignait tout le temps de courbatures.»


C’est par la suite qu’elle sera transférée au Pavillon spécial pour des soins. Mais, avant son transfert, la défunte a tenu à revoir son fils. «La dernière fois que je l’ai vue, elle me disait qu’elle n’avait que nous et que nous étions sa force. Elle savait qu’elle nous avait causé beaucoup de torts, mais elle était désolée», se remémore tristement Salif. Depuis la perte de sa mère dans le milieu carcérale, cette tragédie continue de le hanter.  «Socialement, ces genres d’évènements bouleversent toute votre vie. C’est toujours un choc émotionnel. Et franchement, depuis son décès brutal, j’ai du mal à avancer.» A reprendre le cours de la vie. Tout simplement.  
*Les noms ont été changés


AICHA GOUDIABY & MAXIME DIASSY
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