Najiba Sharif ne dort plus. Mange à peine. L’ancienne vice-ministre afghane de la Condition des femmes est rongée par l’inquiétude depuis la prise de pouvoir des talibans. Et même si elle était capable de fermer l’œil, comment pourrait-elle se reposer, quand des messages de désespoir venus d’Afghanistan font vibrer son téléphone toutes les cinq minutes ? Tant de ses amis vivent désormais reclus. Changent de cachette tous les deux jours. Voient leurs biens confisqués par les nouveaux maîtres du pays. Alors, aux yeux de cette réfugiée, les discours « modérés » des nouveaux talibans ne sont qu’une « mascarade », comme elle nous l’explique au cours de l’interview vidéo visible ci-dessous :
Qui sont les « nouveaux » talibans ?
« Ils disent qu’ils ont changé. Qu’ils respecteront les droits des femmes. Mais ils rajoutent : “dans le cadre islamique de la charia”. Cette précision est inquiétante car en Afghanistan, tout le monde est musulman ! » Ignorant ce qui les attend, de nombreuses femmes restent terrées chez elles, dans un souvenir angoissant des fantômes du passé. Lors de leur premier règne, entre 1996 et 2001, les talibans leur avaient interdit de sortir sans un tuteur masculin, de travailler, de voyager. Sur la place publique, lapidations et exécutions étaient monnaie courante. Et même si plus de la moitié de la population afghane a moins de 20 ans, le souvenir de ces années noires s’est transmis de mère en fille, rappelle Najiba Sharif. « J’ai expliqué à mes filles tout ce qui m’était interdit sous le précédent régime taliban. Mon aînée, qui n’avait que 5 ans à l’époque, n’avait pas le droit d’aller à l’école ! »
En vingt ans, la société afghane s’est modernisée. Les filles ont pu retourner à l’école et les femmes suivre des études supérieures. Un ministère des Affaires féminines a vu le jour, ainsi qu’un quota de 25 % de femmes chez les parlementaires. Des acquis aujourd’hui en péril.
« Carte de pardon » pour retravailler
Najiba Sharif évoque le cas d’une amie à elle, S. G., qui est médecin. Parce que son mari, désormais à la retraite, a travaillé avec l’Unicef et les Etats-Unis, cette dernière ne peut plus exercer. Elle attend désespérément que les talibans lui octroient une « carte de pardon » afin de pouvoir reprendre le chemin de l’hôpital. « Pour elle, c’est une vaste blague. Mais elle est obligée de les prendre au sérieux. Aux yeux des talibans, les femmes restent des sous-hommes. Par ailleurs, ceux qui ont travaillé avec les Occidentaux sont perçus comme des traîtres à l’islam. »
S.G. reste terrée chez elle avec sa fille, âgée de 23 ans, terrifiée à l’idée qu’elle soit mariée de force à un combattant taliban en guise de représailles. L’ombre glaçante du mariage forcé qui réduirait les jeunes filles au rang d’esclave sexuelle plane aussi sur la famille de Naemi. Ce journaliste a été rédacteur en chef du magazine féminin « Roz », édité de 2002 à 2014, particulièrement critique envers les talibans. Il vit désormais dans la clandestinité avec sa femme et ses trois filles, âgées de 12, 14 et 15 ans. Activement recherchée par les talibans, la famille change de cave tous les deux jours. Une opération rendue d’autant plus difficile que leurs voitures ont été confisquées par les nouveaux dirigeants du pays. « Pour eux, mieux vaut une femme morte qu’une femme qui parle d’amour. »
Si l’ancienne députée est particulièrement inquiète du sort réservé aux femmes par les talibans, c’est qu’elle mesure combien les droits acquis demeurent fragiles. L’émancipation vécue par les femmes de Kaboul ces dernières années n’avait pas cours dans les campagnes, « où les traditions supplantent la loi », relève-t-elle. C’est ce qu’elle a pu observer lors de ses visites dans les provinces, du temps où elle était vice-ministre de la Condition féminine, au milieu des années 2000. « Dans les campagnes, les femmes sont autorisées à manger les restes des hommes, après le repas de ces derniers », rappelle-t-elle. « Va-t-on attendre que les talibans me tuent ? » : étudiant à Paris mais bloqué à Kaboul, un Afghan appelle la France à l’aide « Une autre fois, j’ai visité une prison remplie de très jeunes filles. L’une d’elles m’a expliqué être là car son mari l’avait surprise en train d’envoyer un SMS. »
« Cinquante ans en arrière »
Certes, les années ont passé, les femmes se sont instruites, mais comment rester optimiste lorsqu’on voit les visages féminins effacés des rues de Kaboul sitôt la capitale tombée aux mains des insurgés ? Qu’une journaliste vedette a été interdite d’antenne, refoulée à l’entrée du parking du studio de télévision ? Qu’une jeune maire résignée dit attendre que les talibans viennent la tuer, comme ils ont déjà tué son père l’an passé ? Les Afghanes ne s’y trompent pas : d’après l’ONU, 80 % des personnes qui ont fui l’avancée des talibans depuis le mois de mai sont des femmes et des enfants. Si la burqa n’est pas obligatoire, les talibans ont précisé que les femmes devraient tout de même se couvrir la bouche. « Alors, quelle différence ? », pointe Najiba Sharif, qui peine à garder espoir.
nouvelobs.com
Qui sont les « nouveaux » talibans ?
« Ils disent qu’ils ont changé. Qu’ils respecteront les droits des femmes. Mais ils rajoutent : “dans le cadre islamique de la charia”. Cette précision est inquiétante car en Afghanistan, tout le monde est musulman ! » Ignorant ce qui les attend, de nombreuses femmes restent terrées chez elles, dans un souvenir angoissant des fantômes du passé. Lors de leur premier règne, entre 1996 et 2001, les talibans leur avaient interdit de sortir sans un tuteur masculin, de travailler, de voyager. Sur la place publique, lapidations et exécutions étaient monnaie courante. Et même si plus de la moitié de la population afghane a moins de 20 ans, le souvenir de ces années noires s’est transmis de mère en fille, rappelle Najiba Sharif. « J’ai expliqué à mes filles tout ce qui m’était interdit sous le précédent régime taliban. Mon aînée, qui n’avait que 5 ans à l’époque, n’avait pas le droit d’aller à l’école ! »
En vingt ans, la société afghane s’est modernisée. Les filles ont pu retourner à l’école et les femmes suivre des études supérieures. Un ministère des Affaires féminines a vu le jour, ainsi qu’un quota de 25 % de femmes chez les parlementaires. Des acquis aujourd’hui en péril.
« Carte de pardon » pour retravailler
Najiba Sharif évoque le cas d’une amie à elle, S. G., qui est médecin. Parce que son mari, désormais à la retraite, a travaillé avec l’Unicef et les Etats-Unis, cette dernière ne peut plus exercer. Elle attend désespérément que les talibans lui octroient une « carte de pardon » afin de pouvoir reprendre le chemin de l’hôpital. « Pour elle, c’est une vaste blague. Mais elle est obligée de les prendre au sérieux. Aux yeux des talibans, les femmes restent des sous-hommes. Par ailleurs, ceux qui ont travaillé avec les Occidentaux sont perçus comme des traîtres à l’islam. »
S.G. reste terrée chez elle avec sa fille, âgée de 23 ans, terrifiée à l’idée qu’elle soit mariée de force à un combattant taliban en guise de représailles. L’ombre glaçante du mariage forcé qui réduirait les jeunes filles au rang d’esclave sexuelle plane aussi sur la famille de Naemi. Ce journaliste a été rédacteur en chef du magazine féminin « Roz », édité de 2002 à 2014, particulièrement critique envers les talibans. Il vit désormais dans la clandestinité avec sa femme et ses trois filles, âgées de 12, 14 et 15 ans. Activement recherchée par les talibans, la famille change de cave tous les deux jours. Une opération rendue d’autant plus difficile que leurs voitures ont été confisquées par les nouveaux dirigeants du pays. « Pour eux, mieux vaut une femme morte qu’une femme qui parle d’amour. »
Si l’ancienne députée est particulièrement inquiète du sort réservé aux femmes par les talibans, c’est qu’elle mesure combien les droits acquis demeurent fragiles. L’émancipation vécue par les femmes de Kaboul ces dernières années n’avait pas cours dans les campagnes, « où les traditions supplantent la loi », relève-t-elle. C’est ce qu’elle a pu observer lors de ses visites dans les provinces, du temps où elle était vice-ministre de la Condition féminine, au milieu des années 2000. « Dans les campagnes, les femmes sont autorisées à manger les restes des hommes, après le repas de ces derniers », rappelle-t-elle. « Va-t-on attendre que les talibans me tuent ? » : étudiant à Paris mais bloqué à Kaboul, un Afghan appelle la France à l’aide « Une autre fois, j’ai visité une prison remplie de très jeunes filles. L’une d’elles m’a expliqué être là car son mari l’avait surprise en train d’envoyer un SMS. »
« Cinquante ans en arrière »
Certes, les années ont passé, les femmes se sont instruites, mais comment rester optimiste lorsqu’on voit les visages féminins effacés des rues de Kaboul sitôt la capitale tombée aux mains des insurgés ? Qu’une journaliste vedette a été interdite d’antenne, refoulée à l’entrée du parking du studio de télévision ? Qu’une jeune maire résignée dit attendre que les talibans viennent la tuer, comme ils ont déjà tué son père l’an passé ? Les Afghanes ne s’y trompent pas : d’après l’ONU, 80 % des personnes qui ont fui l’avancée des talibans depuis le mois de mai sont des femmes et des enfants. Si la burqa n’est pas obligatoire, les talibans ont précisé que les femmes devraient tout de même se couvrir la bouche. « Alors, quelle différence ? », pointe Najiba Sharif, qui peine à garder espoir.
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