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Présidentielle : Les intrigants silences de Joseph Kabila

Jeudi 26 Octobre 2023

Sous les regards attentifs des policiers et des militaires de la Garde républicaine, la pelleteuse exécute méthodiquement sa mission. Ce 4 septembre, les clôtures qui entourent la résidence kinoise de Joseph Kabila sont abattues une à une par l’imposant véhicule.

Le vacarme attire l’attention des badauds médusés. Voilà des années que ces grandes barrières, hissées du temps où il était au pouvoir, barraient l’accès au domicile du raïs, donnant à ce lieu connu sous le nom de « résidence GLM » des allures de petite forteresse. Un endroit teinté de mystère, à l’image de cet ancien président si secret.


Officiellement, la mesure vise à faciliter la circulation sur des rues indûment privatisées. Joseph Kabila l’a-t-il pris comme un simple accroc dans sa relation déjà compliquée avec Félix Tshisekedi ? Ou considère-t-il que c’est la provocation de trop ? Parti à Lubumbashi à la fin du mois de juin, l’ancien président demeure insondable.

« Désabusé » et « revanchard »
Il partage son temps entre sa ferme de Kashamata et son ranch situé sur le plateau de Kundelungu où il possède des centaines de têtes de bétail. Joseph Kabila s’y est installé non loin de sa mère, Mama Sifa, qui réside aussi au Katanga. Il reçoit la visite régulière de ses proches, dont sa sœur jumelle, Jaynet Kabila, et consulte ses collaborateurs. Longtemps, ces derniers se sont attachés à dresser le portrait d’un homme apaisé, soulagé d’avoir pris ses distances avec sa vie d’homme politique, et satisfait de ce qu’il considère comme son principal héritage : la première passation de pouvoir pacifique en RDC.


Mais ces derniers mois, à l’approche d’une élection présidentielle qu’il sera le seul parmi les poids lourds de la vie politique congolaise à boycotter, c’est un homme « désabusé », « revanchard » voire « radicalisé » que beaucoup dépeignent. Et comme Joseph Kabila traîne aussi une réputation d’ancien maquisard imprévisible, une certaine paranoïa est apparue, à Kinshasa, sur ce que pourraient être ses intentions à l’approche du scrutin.

« Résistant »
Pour tenter de justifier ce silence, chacun y va de sa propre interprétation. « Il a voulu voir jusqu’où ses vrais fidèles iraient pour lui », affirme une de ses collaboratrices. « Il veut surtout qu’on le laisse tranquille parce qu’il aimerait pouvoir tourner cette page de sa vie », assure un de ses anciens ministres.

La dernière fois que Joseph Kabila s’est formellement entretenu avec les barons de sa coalition, le Front commun pour le Congo (FCC), était le 16 juin. Ce jour-là, il a laissé peu de place au doute quant à son état d’esprit. Se posant en « résistant » face à ce qu’il a qualifié de « dictature », il a promis de combattre son successeur à la tête de la RDC avec « toutes les garanties offertes par la Constitution ».

Pourtant sur le plan politique, le FCC semble incapable de se remettre d’avoir perdu sa majorité au Parlement, et paralysé par le départ de ses caciques. Il ne s’est plus réuni en congrès, celui-ci étant reporte sine die depuis plus d’un an. Et Kabila ? Il délègue, racontent ses fidèles, restant volontairement en arrière-plan. A contrario, certains occupent une place prépondérante dans son dispositif. C’est le cas de son ancien ministre des Affaires étrangères, Raymond Tshibanda, de l’ex-ministre des Droits humains Marie-Ange Mushobekwa ou encore d’Aubin Minaku, qui a dirigé l’Assemblée nationale. Mais l’ancien président se satisfera-t-il encore longtemps de rester en retrait ?

Campagne diplomatique
Cette question taraude les milieux diplomatiques. S’il a paru les tenir à distance après que son successeur au pouvoir a remporté le bras de fer qui les opposait, convaincu que Félix Tshisekedi a été soutenu en coulisses par certains diplomates (dans son viseur, l’ex-ambassadeur américain Mike Hammer), Joseph Kabila a aujourd’hui discrètement repris langue avec plusieurs chancelleries.

En février dernier, il a reçu la patronne de la Monusco, Bintou Keïta, venue échanger avec lui dans le cadre de sa mission avant d’effectuer une tournée dans les provinces de l’Est. Il ne l’avait pas vue depuis un an. Comme aux autres diplomates auxquels il a depuis accordé une audience, Kabila a dressé un sombre tableau de la situation. Il a alerté sur les prémices d’une crise électorale qu’il juge inévitable. La faute, à l’en croire, à la commission électorale et à cette Cour constitutionnelle inféodées, selon lui, au pouvoir.


Une crise politique qui menace de se doubler d’une grave crise sécuritaire, Joseph Kabila n’a de cesse de le répéter, lui qui fustige auprès de ses interlocuteurs le réaménagement de l’armée voulu par Félix Tshisekedi. Particulièrement, la présence d’armées étrangères dans l’est de la RDC. Devant les diplomates qu’il rencontre, Kabila énumère aussi des griefs plus personnels : tracasseries administratives, proches poussés à l’exil, restriction de sa liberté de mouvement.

Ces derniers mois, il a aussi plaidé sa cause auprès de plusieurs pays, sur et en dehors du continent, grâce aux concours de divers émissaires. Pour ces discrètes missions, il a pu compter sur certains cadres historiques de sa famille politique : sur Raymond Tshibanda bien sûr, mais aussi sur Néhémie Mwilanya Wilondja, son ancien directeur de cabinet, sur l’ancien ministre Azarias Ruberwa ou encore sur son conseiller diplomatique aujourd’hui en exil en Afrique du Sud, Kikaya Bin Karubi. Du Rwanda à la Tanzanie, de l’Ouganda à l’Afrique du Sud en passant par la Namibie et le Zimbabwe, ces envoyés spéciaux ont remis à chacun de leurs interlocuteurs une lettre résumant la position de Joseph Kabila.

La menace Numbi
Si Félix Tshisekedi a récemment entrepris de resserrer ses liens avec plusieurs pays d’Afrique australe, l’ancien président a lui aussi conservé un solide entregent dans la région notamment en Afrique du Sud, où son petit frère, Zoé Kabila, réside. En mars 2021, tout juste dépossédé de sa majorité au Parlement, Joseph Kabila s’était rendu en Tanzanie et au Zimbabwe. Il avait, à cette occasion, dîné à Harare avec le président Emmerson Mnangagwa.

Ce dernier est aujourd’hui l’hôte de l’un des généraux en exil les plus problématiques pour Félix Tshisekedi : John Numbi. Accusé d’avoir été le commanditaire du meurtre de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, deux célèbres activistes des droits humains assassinés en 2010, cet intime de la famille Kabila a fui pour la capitale zimbabwéenne en avril 2021. Il y dispose aujourd’hui du statut de réfugié politique bien qu’il soit soupçonné par la présidence congolaise d’œuvrer en coulisses à un projet de déstabilisation du régime Tshisekedi. Son cas a été abordé à plusieurs reprises avec la présidence Mnangagwa. Le président congolais tente d’obtenir l’extradition de Numbi – en vain pour l’instant, mais son entourage assure que les négociations sont toujours en cours.


Le sujet est plus d’actualité qu’après deux années de silence total, Numbi étant brutalement revenu sur le devant de la scène, le 8 octobre, en diffusant une vidéo dans laquelle il multiplie les menaces à l’encontre de Félix Tshisekedi qu’il qualifie « d’inconscient ». Il va jusqu’à appeler les militaires à l’insubordination, estimant qu’ils ne « sont plus liés au devoir d’obéir dès lors que le commandant suprême est devenu un danger ».

Aucun objectif anti-républicain
Si le gouvernement a été prompt à relativiser cette menace, assurant qu’elle ne pouvait être prise au sérieux, l’idée qu’une tentative de déstabilisation puisse venir de l’ancien régime a longtemps agité les services de sécurité congolais. Ces derniers ont d’ailleurs évoqué le sujet lors des auditions de l’ex-conseiller sécurité de Tshisekedi, François Beya, arrêté en février 2022. Quant à Fortunat Biselele, ancien conseiller privé de Tshisekedi interpellé un an plus tard, il avait reconnu, lors de ses interrogatoires, l’existence d’une tentative de coup d’État fomentée par John Numbi.


En privé, les proches de Kabila prennent soin de se distancier des positions du général en exil. « La communication de Numbi n’aide pas, surtout qu’il n’a prévenu personne de la sortie de cette vidéo », assure un proche du raïs installé hors de RDC. « Kabila n’a jamais eu d’objectifs anti-républicains et il n’y a plus aucun contact entre Numbi et lui », ajoute un visiteur régulier de Kashamata. « Ceux qui font partie de la stratégie de Kabila ne vont pas devant les caméras pour crier au coup d’État », résume enfin l’un de ses émissaires.

Même si elles prennent soin d’afficher un certain détachement, les autorités congolaises ont activé de discrets canaux pour tenter de rétablir un contact avec Joseph Kabila. En août dernier, Joseph Olenghankoy, le président du comité national de suivi de l’Accord de la Saint-Sylvestre (conclu en 2016) a rencontré le raïs à Lubumbashi. Si cela n’a pas permis d’obtenir une quelconque avancée, il maintient une forme d’optimisme. « Quand il y a un déficit de confiance, il faut trouver un cadre qui conviennent à tout le monde. L’ex-président m’a donné des garanties sur sa disponibilité à agir dans l’intérêt du Congo », assure-t-il.

Jeu de dupes
Olenghankoy, qui ne confirme pas avoir été dépêché auprès de Kabila par Félix Tshisekedi, est un émissaire parmi d’autres. Ces derniers mois, plusieurs ont tenté de le sonder et de deviner ses intentions. Des canaux, impliquant parfois des conseillers spirituels du président, ont également été mobilisés, mais sans succès jusque-là. Par ailleurs, l’idée d’une prise de contact avec Kabila n’est pas du goût de tous dans l’entourage du chef de l’État : le vice-Premier ministre chargé de la Défense, Jean-Pierre Bemba, compte ainsi parmi les adversaires farouches d’une réconciliation avec l’ancien président, qu’il considère comme son ennemi juré.

Dans ce jeu de dupes, chacun laisse entendre que c’est l’autre qui est demandeur et qui cherche à renouer. Cela s’est encore vu lors de la visite en RDC de Jakaya Kikwete, début octobre. L’ex-président tanzanien est demeuré très proche de la famille Kabila. À Kinshasa, on a répété qu’il n’était pas venu pour une médiation mais dans le cadre de ses fonctions au sein du panel des sages de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Deux membres du clan Kabila affirment toutefois qu’il a pu échanger par téléphone avec l’ex-chef d’État.

« Quel intérêt Félix Tshisekedi aurait-il à engager de telles démarches auprès de quelqu’un qui a prouvé qu’il était nuisible pour le pays ? reprend un ministre. Ce n’est pas parce qu’il paraît mystérieux qu’il a forcément quelque chose à dire. » « Comment Kabila pourrait-il faire confiance à Tshisekedi qui n’a respecté aucun de ses engagements », rétorque-t-on dans l’entourage du raïs.

À moins de deux mois des élections, Joseph Kabila rompra-t-il le silence ? Au cours des derniers mois, plusieurs formats ont été envisagés par ses proches : une conférence de presse, une lettre ouverte, une interview… Las, Kabila est resté fidèle à lui-même : taiseux. Reste donc, pour combler le vide, les formules sibyllines de cet homme qui le connaît bien : « Plus vous chercherez à le comprendre, moins vous y arriverez. »


Jeune Afrique
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