Monsieur Cheikh Oumar Diagne, vos sorties publiques, accusant les tirailleurs sénégalais de « traîtres », y compris les martyrs de Thiaroye, soulèvent des questions fondamentales, non seulement sur l’histoire, mais également sur votre compréhension des rôles et des responsabilités au sein d’une institution aussi prestigieuse que la Présidence de la République.
Il est impératif de rappeler d’abord que toute analyse sérieuse de l’histoire exige une contextualisation rigoureuse et une prudence dans les jugements de valeur. En stigmatisant les tirailleurs sénégalais, vous vous rendez coupable d’une simplification dangereuse et injuste. Vous semblez amalgamer les tirailleurs sénégalais, ces soldats enrôlés, souvent sous la contrainte ou la manipulation, et l’armée coloniale dans son ensemble. Cette confusion trahit une méconnaissance flagrante de leur parcours. Les tirailleurs sénégalais, bien qu’intégrés dans l’armée française, ont agi dans un contexte où la domination coloniale laissait peu de choix. Parler de « traîtrise » revient à ignorer les conditions d’enrôlement forcé, la propagande et les contraintes socio-politiques qui les ont placés dans cette situation.
En plus, il y a comme une légèreté et un anachronisme dans votre analyse, dans la mesure où les époques des Tirailleurs tortionnaires de Faidherbe et celles des guerriers de la seconde guerre mondiale de De Gaulle, notamment ceux victimes du massacre de Thiaroye, sont différentes. Ces deux types de tirailleurs doivent-ils être mis sur le même banc des accusés de l'histoire ? Était-ce par trahison que Lamine Senghor, ancien tirailleur, est devenu une figure emblématique de l’anticolonialisme ?
Ensuite, les tirailleurs massacrés à Thiaroye le 1er Décembre 1944, en revendiquant leurs soldes légitimes après avoir risqué leur vie pour la libération de la France, loin d’être des traîtres, sont des précurseurs de la décolonisation. Ils symbolisent la dignité et la résistance à l’injustice. Dire que ces tirailleurs fusillés à Thiaroye l’ont été pour « des miettes » (weccet) révèle une ignorance crasse de l’histoire et un mépris intolérable envers leur sacrifice. Ces hommes, après avoir risqué leur vie pour libérer une France qui les considérait comme des subalternes, n’ont demandé que justice : le paiement de leurs soldes et la reconnaissance de leur humanité. Les « miettes » dont vous parlez, c’étaient leur dû, le minimum pour des soldats ayant combattu l’oppression nazie. Les assassiner pour avoir osé revendiquer ce droit montre la brutalité du système colonial, et mépriser leur mémoire aujourd’hui, c’est prolonger cette injustice. Comment pouvez-vous nier les réduire à de simples collaborateurs de l’oppresseur en niant leur grand apport dans le processus de décolonisation ?
M. Cheikh Omar Diagne, Lors de la commémoration du 80ᵉ anniversaire du massacre de Thiaroye, le Président de la République, Monsieur Bassirou Diomaye Faye, a pris cinq mesures très significatives pour honorer la mémoire des tirailleurs parmi lesquelles :
1. La reconnaissance officielle du 1ᵉʳ décembre comme « Journée du Tirailleur ».
2. L’intégration de l’histoire de Thiaroye et des tirailleurs dans les curricula scolaires.
Si, comme vous le prétendez, les tirailleurs sont des « traîtres » devons-nous alors conclure que le Président de la République souhaite enseigner la « traîtrise » à nos enfants ?
Enfin, M. Cheikh Omar Diagne, en tant que Directeur des moyens généraux de la Présidence, votre rôle doit être d’accompagner la vision et l’orientation du Chef de l’État dans l’espace public, non de vous y opposer. Vos déclarations, en contradiction avec la position officielle de la Présidence, constituent une incongruité institutionnelle. Vos prédécesseurs à ce poste se sont toujours illustrés par leur discrétion et leur professionnalisme. Il serait sage de vous inspirer de cet exemple en laissant les débats historiques aux historiens.
Pour conclure, l’histoire des tirailleurs sénégalais n’est pas exempte de complexité, mais elle ne saurait être réduite à une caricature. Leur mémoire est un héritage collectif, porteur de leçons sur le courage, l’injustice et la résilience. En tant qu’homme occupant une fonction publique, vous avez une responsabilité envers cette mémoire. Votre devoir n’est pas d’alimenter la polémique, mais de contribuer à l’unité et à la reconnaissance des sacrifices de nos ancêtres. À défaut, le silence pourrait être votre plus grande contribution.
Respectueusement,
Papa Moussa SY
Professeur de Lettres
Écrivain-poète
École du Parti de Pastef
(Daaray Cheikh Anta Diop)