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Éducation: laïcité, Valeurs et Compétences. école néocoloniale : entre échec et élitisme (Par Abdoulaye Diatta)

Mercredi 23 Octobre 2019

Éducation: laïcité, Valeurs et Compétences. école néocoloniale : entre échec et élitisme (Par Abdoulaye Diatta)
« L’école coloniale est un obstacle au développement, une usine de chômeurs, un défoliant culturel, une poudrière sociale potentielle »  Joseph Ki ZERBO
 
Au lendemain de l’indépendance, le Sénégal a hérité d’une École qui n’a pas été réajustée à ses valeurs culturelles et adaptée aux besoins de son développement économique et social. Une école qui de fait allait être l’unique voie d’accès à la promotion sociale (enseignant, médecin, policier, magistrat, comptable, etc.), la dorsale de notre administration. Elle a tout donné aux produits de cette école dite moderne et rien à ceux qui ont fait leurs humanités dans l’école traditionnelle.

En 1971, le débat sur l’introduction et l’utilisation des langues nationales fut soulevé à nouveau par les experts, dans la perspective de rattraper le gap linguistique et de décoloniser l’école. Pour ce faire, ils ont procédé à de multiples expériences ayant conduit à des résultats probants, mais sans jamais convaincre l’autorité à faire le pas décisif.

Or, tous les spécialistes s’accordent à dire que les enfants bilingues dès le plus jeune âge développent des capacités cognitives et une adaptabilité intellectuelle supérieures à celles des enfants qui ne connaissent qu’un seul environnement langagier.
Les écoliers des années 70 ont certainement gardé en souvenir, l’image du symbole[[1]]url:#_ftn1 , une suprême humiliation qui a brisé le parcours scolaire de beaucoup d’enfants.


Paradoxalement, Jean Dard [[2]]url:#_ftn2 avait appris le Wolof et utilisait une approche bilingue pour enseigner avec une efficacité remarquable. Mais il fut démis de ses fonctions pour non-respect des règles édictées par la ligne coloniale.


Quid, du poète Président qui, affirmait du haut d’une tribune officielle que nos langues nationales (vernaculaires) n’étaient pas assez riches pour permettre l’enseignement de la science et que les porteurs de telles idées, étaient des… irresponsables. Etait-il trop empreint de la civilisation coloniale pour en arriver à une telle assertion ?


En toute évidence, d’éminents professeurs et penseurs sénégalais, promoteurs de l’apprentissage par les langues maternelles, ont montré qu’il n’en était rien.


Là où des pays comme Haïti, Madagascar ont connu des expériences malheureuses, d’autres ont pu faire le saut en utilisant leur propre langue comme moyen de transmission des savoirs, la Corée du Sud, la Turquie, l'Éthiopie sont des exemples éloquents.


Last but not least, en 1977, une polémique sur la gémination ou non de la lettre -d-, va empêcher la sortie du film Ceddo, pendant 7 ans sur nos écrans de cinéma.
 
LA DEGRADATION DU STATUT DE L’ENSEIGNANT
La cohérence du système éducatif, hérité du colonisateur, était contestée par les enseignants et les intellectuels sénégalais aux plans des finalités, de l’orientation, des curricula, des approches pédagogiques, du pilotage et même de la gestion.

En effet, cette école néocoloniale aux yeux des élites, devenait le cristallisoir des principales frustrations et contradictions, qui ont conduit à l’inoubliable crise de mai 68.

Les grandes mobilisations des enseignants et des étudiants, qualifiées à tort de dérives politiques par les tenants du pouvoir, n’étaient que la traduction de leur volonté de réformer en profondeur le système, c’est-à-dire trouver une réponse à la question fondamentale : quelle école pour le sénégalais que nous voulons former ?
En dépit de l’apport déterminant des organisations d’enseignants dans lutte pour l’accession à l’indépendance, leurs militants notamment ceux du SUEL[[3]]url:#_ftn3 vont subir une répression physique, morale et psychologique d’une rare violence (suspension, licenciement, rétention de salaire, affectation, etc.). L’organisation sera finalement interdite par les autorités.
Convaincus de la justesse de leur combat, les enseignants remettent en place une nouvelle organisation, le SES[[4]]url:#_ftn4 , pour poursuivre les objectifs antérieurement défendus par le SUEL.
Ceteris paribus sic stantibus, les mêmes causes ont conduit aux mêmes effets ; le SES sera dissout.

Une décennie plus tard, les enseignants reviennent à la charge avec plus de détermination autour d’une nouvelle organisation, le SUDES, qui obtiendra du gouvernement l’organisation des EGEF [2] en 1981.

De cette rencontre nationale va naître la loi d’orientation scolaire n°91-22 du 16 février 1991 remplaçant celle du 3 juin 1971.

Avant que les conclusions de la CNREF ne soient partagées, le pouvoir souffla sur les braises pour amplifier les contradictions internes du SUDES,[[5]]url:#_ftn5 entrainant son éclatement. C’est là le début d’une longue période de scission du mouvement syndical enseignant dont les effets continuent encore à se faire sentir.

La crise économique mondiale des années 80 et les politiques d’ajustement structurel serviront de prétexte pour réduire le recrutement des enseignants, la construction de salles de classe, la suppression des internats et de la dotation en fournitures scolaires,  etc. Ainsi, la moitié des enfants en âge d’aller à l’école se sont retrouvés à la rue faute de maîtres et de salles de classe, ce qui permettra à l’Etat de faire recours en 1983 à des enseignants sans formation dénommés «ailes de dinde».

Les politiques d’austérité et de dévaluation monétaire, commanditées par les IFI[[6]]url:#_ftn6 , ont particulièrement ciblé le secteur de l'Éducation, le point de mire étant l’enseignant, pilier essentiel de tout système d’éducation.
 
UNE ECOLE MINEE PAR LA RUPTURE DE CONFIANCE
Des Etats généraux de 1981, aux Assises de l'Éducation de 2014, notre système éducatif a été secoué par de longues et  récurrentes convulsions ayant souvent entraîné des réformes.
En effet, en dehors de la crise estudiantine de 1988, marquée par une année blanche et celle de 1993 qui a abouti à une année invalide, les principales perturbations du système ont été portées par les enseignants.

Mobilisés autour de plateformes revendicatives légitimes et face à ce qu’ils qualifient d’inertie des autorités, les syndicalistes ont eu recours à la grève, arme redoutable, pour faire avancer leurs doléances.


Ces grèves, qualifiées de politiques par une frange des tenants du pouvoir, d’excessive par une partie de la communauté et de légitime par les enseignants ont entraîné une profonde fracture et une rupture de confiance entre les parties prenantes. La signature des accords, réalisables ou non, n’intervient souvent qu’au mois de mai, à quelques encablures de la fin de l’année, ce qui laisse transparaître un climat de suspicion et de méfiance entre les acteurs.
Ainsi, la moyenne du temps scolaire ne dépasse pas 690 heures pour une norme fixée qui varie entre 1087 et 1200 heures correspondant aux 187 ou 190 jours qui séparent la date d’ouverture(1er octobre) et la fermeture (le 31 juillet).


Certes, les luttes syndicales ont contribué à la réalisation d’avancées significatives relatives aux questions de libertés démocratiques et sociales, aux plans de carrières, à l’augmentation de salaires, à l’amélioration de l’environnement scolaire, au recrutement et à la formation des enseignants, à la construction d’infrastructures, etc.


Mais au regard des faits, des ressentis et des interprétations des apprenants, des enseignants, des parents, des décideurs politiques, des employeurs, etc., force est de constater que les attentes sont encore très importantes.


Malgré tous les sacrifices consentis par le gouvernement, les ménages, les partenaires, les collectivités, les évaluations de la qualité des enseignements-apprentissages montrent régulièrement depuis des décennies que les seuils de maîtrise restent faibles en sciences et en français.


En effet, sur  la période 2004 à 2013, au niveau de l’Elémentaire et du moyen, le nombre d’élèves ayant redoublé a été estimé à 1685.579 et celui des abandons à 2.058.816. Ce ratio élevé de décrochage prématuré montre que l’école ne représente pas ou plus un ascenseur social encore moins un socle fiable capable d’assurer la transmission des connaissances, des valeurs et d’asseoir les règles du vivre- ensemble.


C’est une des raisons ces situations qui justifient la montée en puissance des écoles privées qui elles offrent une certaine stabilité et sécurité aux apprenants et produisent des résultats aux examens bien souvent meilleurs que ceux du public. En effet, en 2014 les établissements privés représentaient 67, 42 % du réseau scolaire dans la Région de Dakar et leurs effectifs sont passés de 26,99% à 41, 79 % entre 2004 et 2014.
Ce que d’aucuns analysent comme une marchandisation de l’éducation.
 
UNE ECOLE A PLUSIEURS VITESSES DANS UN CONTEXTE D’EQUITE
Le système éducatif, qui par définition doit être d’un seul tenant, abrite sous nos cieux une multiplicité d’entrées qui conduit obligatoirement à une pluralité de sorties avec des offres contenant des programmes distincts, des approches pédagogiques multiples, des calendriers scolaires et rythmes différents, des règlements divergents, des valeurs disjointes.
Notre paysage scolaire ressemble à un patchworth: école publique et privée laïque, daaras classique et moderne, école privée catholique, école franco-arabe, école franco-sénégalaise, sénégalo-américaine, et la liste ne finit pas.

Cet imbroglio installe le parent d’élève dans un conflit de loyauté, alors qu'à la base, il ne désirait que donner la meilleure éducation à son enfant.
Pareille situation ne saurait perdurer,  il devient urgent de changer de paradigme en reconsidérant ce pilier central de la société que constitue l'Éducation.


Dans cette perspective l’autorité doit faire preuve de plus de rigueur, notamment en exigeant l'application stricte de toutes les règles, sur ce qu’il convient de faire ou s’abstenir de faire pour favoriser le vivre-ensemble, si bien décliné dans ces extraits de notre hymne national.
Épaule contre épaule, mes plus que frères
Unissons la mer et les sources, unissons la steppe et la forêt….


Nous devons nous retrouver autour de notre école et nous accorder sur la finalité de notre système d'Éducation, sous l’impulsion de l’Etat, pour trouver réponse à une question de première importance « Quel est le profil du Sénégalais que l’école doit former ?».
Cette exigence de réponse, nous obligerait à envisager une rupture épistémologique et mettre en perspective un redimensionnement de notre système d’Éducation, qui sera centré sur le triptyque valeurs, cultures et compétences, pour qu’il continuer à cultiver et développer l’unité nationale, et renforcer la cohésion sociale.
Es muss sein! aurait dit Milan Kundera.

Ainsi les générations futures pourront écrire aussi bien de la droite vers la gauche que de la gauche vers la droite.

Ne devrions-nous pas méditer l’exemple offert par les populations de Ziguinchor et de Fadiouth, où le même cimetière reçoit indifféremment les morts sans distinction de race, d’ethnie ou de religion.

Car, il est bien dit dans le Coran (Ar-Rum)  «La création des cieux et de la terre, la diversité de vos langues et de vos couleurs sont autant de merveilles pour ceux qui réfléchissent».
 
 
Abdoulaye DIATTA
Conseiller municipal à Keur Madiabel

 
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