À quoi reconnaît-on un baron politique en devenir ? Au fait de sa capacité à créer du sens là où il n’y avait rien, à saisir les moments décisifs, à capter la bonne conjoncture ; mais surtout, à faire corps avec les populations de son terroir. L’ingénieur des Ponts et Chaussées, Doudou Kâ est le principal obstacle à l’établissement d’un fief pour le chef de l’opposition.
Qui l’eût-cru ? En réussissant à se présenter à Ziguinchor en alter égo du principal responsable de l’opposition nationale radicale, Doudou Kâ a réussi à se rendre incontournable sur la scène. Ce qui ne devait être au début qu’une guéguerre locale l’a projeté sur les feux de la rampe au plan national. C’est là un coup double de réussi : contester « l’évidence » qui voulait faire de la capitale du Sud l’épicentre de « Pastef » ; se positionner, au-delà des élections locales, comme un leader d’envergure nationale.
Candidat ni à la Mairie, ni au Conseil départemental, le Directeur général de Aibd Sa est pourtant le principal empêcheur de tourner en rond pour Ousmane Sonko. C’est connu, le préalable à des ambitions présidentielles est l’ancrage local fort. Or, depuis les tristes événements du mois d’octobre dernier, quand militants de la mouvance présidentielle et supporters de « Pastef » se sont affrontés à Ziguinchor, le déploiement de Doudou Kâ est devenu comme un caillou dans les babouches de l’opposant au Président Macky Sall.
Sa présence dans le « who’s who » des responsables en vue de l’Apr n’est pas fortuite. Qui est Doudou Ka ? A la légitimité politique, il faut faire précéder le brillant parcours académique et professionnel, de l’école primaire Ibou Camara de Ziguinchor où il fit ses premières humanités aux lambris et servitudes des responsabilités étatiques avec sa nomination, en décembre 2020, comme Directeur général de l’Aibd SA, en charge du développement des pôles aéroportuaires à travers le pays.
Il est d’abord issu d’un métissage prononcé, comme il est de coutume en Casamance, à la fois Peul du Fouta-Toro, Peul du Ndoucoumane, Diola du Kassa, Wolof du Cayor et Peul du Fouta-Djalon, donc une incarnation de ce syncrétisme culturel, tant chanté au Sénégal. Après ses études primaires à l’école élémentaire Ibou Camara de Ziguinchor, il rejoint Dakar et le Collège Sacré Cœur pour ses études secondaires. En septembre 1993, il se rend en France et intègre le lycée Turgot dont il est diplômé d’un baccalauréat C avec mention. Il est ensuite admis en 1994 au lycée parisien Janson-de-Sailly pour les classes préparatoires spéciales aux grandes écoles.
Rompu aux matières scientifiques, il suit de 1996 à 1999 des études universitaires à l’Université Paris VI (Pierre et Marie Curie) où il obtient un DEUG en Sciences de la matière et une maîtrise en Maths appliquées avec la mention Bien. En 1999, il rejoint la prestigieuse école nationale des Ponts et Chaussées de Paris d’où il sort en 2001 avec le titre d’ingénieur civil des Ponts et Chaussées. Une tête pleine et bien faite donc.
Doudou Ka, bardé de son diplôme d’ingénieur, intègre, dès juin 2000, le célèbre Cabinet Deloitte & Touch, en tant que consultant stagiaire. Mais, c’est à la Sonatel (Orange), à partir de septembre 2020, qu’il fourbit ses armes professionnelles en tant qu’ingénieur financier. Puis, c’est le grand saut dans les Programmes stratégiques de l’État. Ainsi, à la fin de 2002, il est nommé conseiller technique du directeur général de l'Agence de promotion des investissements et grands travaux (APIX) chargé des grands travaux (autoroute à péage Dakar-Thiès, nouvel aéroport international Blaise Diagne, chemin de fer). C’est alors le temps du Président Abdoulaye Wade et du « Sopi » triomphant.
Au front depuis 2015
Les passerelles étant faciles pour les ingénieurs des ponts et chaussées, Doudou Kâ s’engage en 2004 avec la Banque d’affaires marocaine « BMCE Capital » où il dirige le Pôle Énergie, Transport et Infrastructures. C’est en tant que banquier d’affaires de « BMCE Capital » qu’il va travailler au redémarrage de la liaison maritime Dakar-Ziguinchor endeuillée après un arrêt de trois ans suite au naufrage du bateau « Le Joola » survenu en 2002. Et c’est naturellement qu’en 2006, il est nommé Directeur administratif et financier et du système d'information de la Somat (Société maritime de l’Atlantique), l’entreprise sénégalo-marocaine chargée de l’exploitation de la ligne maritime Dakar-Ziguinchor.
Les (nombreux) adversaires de Doudou Kâ aiment rappeler, qu’en mai 2008, la Somat et ses dirigeants ont été attraits devant les tribunaux pour abus de biens sociaux. Il sera totalement blanchi par un non-lieu. Mais avant cette décision de justice, l’ingénieur a poursuivi sa carrière en France entre 2009 et 2012. Aujourd’hui, nos sources expliquent qu’il y avait « des divergences entre le Sénégal et le Maroc sur la gestion des sociétés de navigations aérienne (Asi) et maritime (Somat) ».
En rongeant son frein, il se découvre des ambitions politiques dans le sillage d’un certain… Macky Sall. Quand l’actuel président de la République lui demande de coordonner en octobre 2011 son programme « Yoonu Yokkuté », Doudou Kâ n’est pas loin et juste après l’élection présidentielle de 2012 qui « sacre » Macky Sall, il devient l’un de ses premiers conseillers attitrés. Tour à tour conseiller spécial du chef de l’Etat chargé de la coordination du Pôle des Grands Projets de l’État qui sont tour à tour inaugurés par le Président de la République ; premier Administrateur général du fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip) du Sénégal à partir de mai 2013, jusqu’au 04 Novembre 2020, date de sa nomination à la tête de l'aéroport international Blaise Diagne (AIBD).
Très vite, Doudou Ka propose un plan stratégique de mise en œuvre pour faire du Sénégal un Hub aérien sous régional. Depuis, avril 2021, après sa validation en Conseil présidentiel, le plan stratégique concocté par Doudou Kâ et le Ministre en charge des Transports aériens entraîne la fusion de AIBD et les ADS (Agence des aéroports du Sénégal) pour la gestion et l’exploitation de tous les aéroports du Sénégal. En somme, le « Monsieur Aéroport » de l’Etat.
Depuis 2009, il s’est résolument engagé aux côtés du président Macky Sall. Son mouvement dénommé « Falaat Macky Sall ak Doudou Ka » (FMD) qui a évolué pour devenir la coalition « Doggu pour le Grand Sénégal) », s’illustre depuis 2015 à chaque rendez-vous électoral (référendum de 2016 et législatives de 2017). Il réunit plus de 40 maires et des acteurs politiques issus de différentes formations. Le plus dur commence maintenant pour lui.
De bonnes perspectives pour le Hub aéroportuaire
Le Sénégal a développé un plan stratégique 2021-2025 pour maximiser le potentiel de son secteur aérien. Cette politique, sous les auspices du Directeur général de l’Aibd, repose sur plusieurs piliers : la génération de trafics, par le renforcement du pavillon national dont le premier jalon est le renforcement de la flotte, la construction d’un centre de maintenance aéronautique et la construction d’une Académie internationale aux métiers de l’aviation ; le projet d’extension de l’aérogare existant à travers un projet urgent de construction d’une jetée au sud et plus tard, un terminal qui sera entièrement dédié ; la construction d’une nouvelle aérogare fret et la réhabilitation des aéroports régionaux. Fermé depuis deux ans au trafic international, l’aéroport de Cap Skirring a accueilli son premier vol international, le 5 décembre dernier.
La réception de ce vol fait suite à la réhabilitation de cet aéroport par l’AIBD Sa, le premier défi réussi par l’ingénieur des Ponts et Chaussées dans le cadre du Programme de réhabilitation des Aéroports du Sénégal (PRAS). Les travaux de construction du centre de maintenance aéronautique de l’Aéroport international Blaise Diagne de Dakar démarrent en usine en novembre 2021 et sur site à partir de la fin février 2022. Premier du genre opérationnel en Afrique de l’Ouest, ce centre de maintenance est un projet structurant dans la stratégie du hub aérien 2021-2025 approuvée en avril 2021 par le Président Macky Sall qui veut faire de l’aéroport AIBD, le 1er hub aérien et logistique sous régional et de la région de Thiès un pôle aéronautique de dimension internationale avec l’aéroport AIBD et l’Académie internationale des métiers de l’aviation.
Kritik Quotidien